Cherry : L’insoutenable lourdeur des frères Russo

Travaillant avec Marvel depuis 2014, les frères Russo, capables du pire (Captain America : Civil War, Avengers Endgame) comme du meilleur (Captain America : Le soldat de l’hiver, Avengers : Infinity War) même au sein du MCU (et attention quand on dit meilleur, on parle bien au sein de Marvel, ce ne sont pas des grands films non plus) ont repris la route de l’indépendance qu’ils avaient entamé au début de leur carrière pour signer un film plus personnel, avec une réelle volonté d’auteur. C’est ainsi qu’est né Cherry, adaptation du roman semi-autobiographique de Nico Walker, disponible sur Apple TV+ depuis le 12 mars dernier.

Ce qui frappe à la découverte de Cherry, c’est combien en son sein, se cache un grand film. Un grand film qui hélas n’atteindra jamais son potentiel puisque celui-ci sera toujours parasité par les réalisateurs, bien incapables de transcender la matière qu’ils ont entre les mains. Cherry dessine pourtant un portrait bouleversant : jeune homme, le protagoniste (qui ne sera jamais nommé mais qu’on appellera donc Cherry) s’engage dans l’armée à la suite d’une déception amoureuse. Emily, sa petite amie finit cependant par revenir vers lui mais c’est trop tard, il s’apprête à partir en Irak en tant qu’aide-soignant dans l’armée. Sur un coup de tête, ils se marient puis Cherry se retrouve en Irak. Il en revient inévitablement traumatisé, souffrant de trouble du stress post-traumatique. Pour calmer ses angoisses et ses accès de violence, il bascule dans la drogue et Emily bascule avec lui. Mais la drogue coûte cher et Cherry commence alors à braquer des banques…

Se dessine là, en filigrane, un immense sujet et une fresque ambitieuse sur l’Amérique, prête à jeter sa jeunesse dans une guerre absurde pour ne pas l’aider quand elle revient au pays, bien incapable de faire quoi que ce soit tant la violence vue à la guerre ne trouve aucun écho à la vie américaine bien rangée. Plutôt que d’aider ses vétérans, l’Amérique les cache et se refuse à voir le problème : de héros (pourquoi ? Parce qu’ils ont survécu ?), les anciens soldats deviennent des rebuts de la société, des criminels qui ne retrouveront jamais leur innocence et que le gouvernement américain ignore ostensiblement. Mais ce portrait, au potentiel émotionnel dévastateur, les frères Russo ne savent pas quoi en faire. La construction du scénario est, en premier lieu, trop éparpillée pour convaincre. Divisé en chapitre, le film manque de constance et s’embourbe fréquemment dans des longueurs. Pour une partie réussie (celle en Irak, captant parfaitement l’absurdité et la violence de la guerre), les autres parties s’enlisent, peu aidées par une écriture beaucoup trop balourde pour offrir au sujet la place nécessaire pour déployer son ampleur.

De tous les personnages, seul Cherry bénéficie d’un réel traitement de fond. Celui-ci est d’ailleurs maladroit mais la prestation de Tom Holland (dont on avait déjà remarqué l’énorme potentiel dramatique dans Le Diable, tout le temps), embrassant toutes les contradictions, la violence et la détresse intérieure de son personnage parvient à lui donner corps sans trop de problème. On ne pourra en dire autant de Ciara Bravo dans le rôle d’Emily, le personnage étant tellement écrit à la truelle avec deux nuances de caractère que l’actrice ne peut pas faire grand-chose avec, si ce n’est lui donner toute son énergie, en vain.

Semblant dépassés par leur sujet, presque conscients que leur scénario est trop bancal et trop long, les frères Russo tâchent de compenser cette faiblesse avec leur réalisation. Celle-ci est sur-stylisée au possible et pas un seul plan de Cherry ne souffre de cet excès : ralentis, musique omniprésente, changement de format, plans zénithaux, changement de colorimétrie, points de vue improbables (celui d’un anus totalement gratuit), voix-off, quatrième mur brisé, chapitrage, tout y est. Vraisemblablement ravis de pouvoir enfin faire ce qu’ils veulent avec leur caméra après toutes ces années chez Marvel où ils devaient répondre à un cahier des charges bien précis, ils ne savent finalement pas quoi en faire. Formellement, Cherry souffre donc d’un excès surchargeant son sujet et empêchant finalement tout point de vue. Que veulent réellement dire les frères Russo au fond ? Impossible de le savoir tant la mise en scène échappe à toute régularité et ne semble jamais relever d’une vraie cohérence avec son sujet. On est au contraire dans l’esbroufe la plus pure, de celle à même de parasiter un grand sujet.

C’est donc ce qu’il se passe avec Cherry, film beaucoup trop long (2h20 tout de même) et trop prétentieux duquel on ne sauvera que Tom Holland, jeune acteur décidément incroyablement prometteur dont les subtilités de jeu ont de quoi faire pâlir certains de ses aînés. Prenant son envol hors du MCU avec une belle aisance, embrassant la complexité de son rôle (et son écriture maladroite) sans ciller, il compose la seule raison valable de découvrir Cherry qui vient au moins établir une vérité que l’on savait déjà : les frères Russo n’ont jamais été, et ne seront jamais, de grands réalisateurs. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé.

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