Malcolm & Marie : Qui a peur d’une bonne dispute conjugale ?

Pur produit de la crise sanitaire, pensé, écrit et réalisé en équipe restreinte (et dans la plus grande discrétion) alors que la Covid-19 frappait de plein fouet les États-Unis et forçait Sam Levinson à repousser le tournage de la seconde saison de Euphoria, Malcolm & Marie est désormais disponible sur Netflix depuis le 5 février dernier. L’occasion pour nous de découvrir combien Sam Levinson a extraordinairement bien travaillé sous la contrainte, le cinéaste livrant ici un film totalement inspiré, loin d’être un pur produit racoleur se servant de la crise pour faire des vues (contrairement à Songbird par exemple) et proposant au contraire un vrai moment de cinéma auquel nous n’étions pas prêts.

Qui dit tournage en pleine épidémie dit donc équipe limitée. Malcolm & Marie se résume donc à un lieu et deux personnages. Soit une très belle maison surplombant les collines de Los Angeles et un couple revenant de la première d’un film. Ce film, Malcolm l’a réalisé et ce soir tout le public, y compris les critiques, a été conquis par cette trajectoire d’une jeune femme et de sa lutte pour décrocher de la drogue. Mais très vite, quelque chose cloche. Malcolm exulte et ne semble pas réaliser que Marie est distante. Elle brise rapidement la glace : dans son discours ce soir, Malcolm a oublié de la remercier. Chose inconcevable alors que le film en question est inspiré de son propre parcours. Cet oubli n’est que le premier grain de sable venant gripper la mécanique de ce couple, désormais parti pour une nuit de dispute et de tumulte.

Avec un tel sujet, on pouvait craindre que Sam Levinson en fasse trop, lui qui n’avait guère brillé par sa subtilité avec un Assassination Nation impertinent mais lourdingue. Ici, s’il adopte la verve théâtrale de sa situation (on pense parfois à Qui a peur de Virginia Woolf ?) et l’artificialité du dispositif (et de ses allures d’exercice de style), cela n’est jamais au détriment des personnages et de leurs émotions. La mise en scène épouse au contraire parfaitement les sentiments des personnages et met en exergue leur relation. Chaque choix de cadre, utilisant les éléments du décor pour éloigner ou rapprocher Malcolm et Marie selon la situation, est d’une pertinence totale. Que les plans soient larges pour justement signifier un rapprochement ou un éloignement ou que Levinson filme ses acteurs en gros plan (en 35mm avec une photo superbement travaillée, autant vous dire que le résultat est sublime), tout son travail est au diapason de la construction de son scénario et de ses personnages.

Un scénario extrêmement écrit avec des dialogues soignés et peaufinés jusqu’au moindre mot pour que chaque réplique ait une force d’impact puissante, ne laissant pas ses personnages indemnes. On pourra certes arguer que la dispute, bien que réaliste dans ses sentiments, ne le soit guère dans ses dialogues où l’on déblatère avec aisance sur de nombreux sujets et il faudra en accepter la théâtralité mais cela se fait sans souci tant il est devenu rare de savourer un film aussi bien écrit, surtout sur un sujet à priori vu et revu. C’est d’ailleurs là l’une des grandes qualités de Malcolm & Marie : ne pas se contenter de la dispute d’un couple comme sujet. Le film brasse en effet large mais toujours de façon pertinente : qu’il aborde la question raciale ou celle du male gaze (lui qui est en plus réalisé par un cinéaste blanc), qu’il étrille volontiers les critiques bien pensantes politisant le moindre film réalisé par un afro-américain, qu’il se moque de l’hypocrisie et de l’artificialité hollywoodienne ou qu’il creuse en profondeur la relation unissant un cinéaste et sa muse, faite de souffrances (inévitables ?) menant à la création, Sam Levinson couvre finalement tout le spectre de son époque qu’il ausculte avec une acuité rare.

Certes parfois il ne peut s’empêcher d’en faire un peu trop, laissant à John David Washington quelques tirades un peu appuyées mais dans sa volonté d’ausculter les différentes ramifications d’un couple et ce qu’elles impliquent, Levinson voit juste et sait appuyer là où ça fait mal, relançant le débat avant que son récit ne puisse s’essouffler. Cela n’empêche pas le film d’avoir de beaux moments un peu moins tendus, presque relâchés, notamment lorsque Marie se pose et parle à Malcolm des remerciements qu’elle aurait voulu qu’il lui fasse. Et si l’on est ravis de constater que c’était seulement dans Tenet que John David Washington avait l’air perdu, se montrant ici d’une belle intensité, c’est Zendaya, du haut de ses 24 ans, qui impressionne et irradie l’écran. L’actrice prouvait déjà dans Euphoria toute l’étendue de son jeu, elle confirme ici qu’il faudra compter sur elle dans les années à venir, insufflant à Marie une vie, un passé que l’on devine à travers ses silences, ses regards et ses mots, à qui elle donne une puissance ébouriffante sans jamais en faire trop. Son interprétation subtile et délicate vient contrebalancer les quelques moments un peu maladroits du récit pour faire de Malcolm & Marie une réussite impossible à ne pas saluer, tant pour sa simple existence (comme quoi il peut découler des bijoux même d’une crise telle que celle que l’on traverse) que pour la richesse des thématiques abordés dont la force résonne en nous bien après le visionnage.

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