Vikings : La fin d’une ère

Difficile d’être passé à côté de cette série qui a déchaîné les passions ces sept dernières années. Tout d’abord cachée dans l’ombre du mastodonte qu’était Game of Thrones, Vikings, créée par Michael Hirst, aura su se parfaire une sacré réputation dans le milieu des séries télévisées. Très vite, la série canadienne de la chaîne History déploiera ses atouts avec fureur, menée par un casting en or massif, une qualité d’écriture riche et une mise en scène survoltée. L’affiliation avec Game of Thrones a souvent été faite. En dépit du fait qu’elle soit totalement désuète (cela reviendrait à comparer une Ferrari avec une Maserati, on a affaire à deux belles pièces, mais qui n’apportent pas les mêmes choses), on peut notamment rapprocher les deux séries sur leur impact fort et inéluctable envers la pop-culture de ces dernières années. Il y a clairement eu un avant et il y aura un après-Vikings. Que ce soit dans la mode (on ne compte plus les nombreuses barbes et autres coupes de cheveux tressées croisées dans la rue), les jeux-vidéos (God of War – 2018, Assassin’s Creed : Valhalla, Hellblade) ou, tout simplement, au cinéma. Que ce soit des œuvres éloignées puisant dans les mythologies nordiques (La Reine des Neiges, Thor), à la réhabilitation de certains films comme Le 13e Guerrier ou La Légende de Beowulf, il y a forcément une trace de l’ADN de la série Vikings qui dénote en filigrane. C’est une série que l’on gardera en mémoire, notamment grâce à la ligne de conduite qu’elle s’est toujours imposée.

Vikings part d’un postulat historique (même si les historiens ne s’accordent pas tous sur la véracité des propos compte tenu du peu d’informations dont ils disposent de cette époque) afin de se fonder sa propre mythologie. Entièrement écrite par Michael Hirst (Les Tudors), le britannique, passionné d’histoire, nous délivre ce qui sera, probablement, le chef d’œuvre de sa carrière. Achevée en ce début d’année (avec une diffusion intégrale des dix derniers épisodes le soir du 31 décembre dernier sur Amazon Prime US, et simultanément sur Canal + en France), Vikings a fait ses adieux au public dans un dernier tour de force suintant la douleur, les regrets, mais surtout, la fin d’une ère et d’une croyance qu’elle ne s’est jamais cachée de décrypter.

Retour en 2013. La première saison de Vikings pose les jalons, en neuf épisodes, de ce que la série mettra, ensuite, cinq saisons à raconter. On y suivra les exploits d’un groupe de Vikings, mené par Ragnar Lothbrok, simple fermier devenu l’un des vikings les plus populaires de son époque. Entre faits historiques avérés et légendes infondées autour de lui, il est supposé avoir unifié les clans vikings en un royaume aux frontières indéterminées à la fin du VIIIe siècle. Il est surtout connu pour avoir été l’instigateur des premiers raids vikings en terres chrétiennes, qu’elles soient saxonnes, franques ou celtiques. S’opposant farouchement à son jarl, qui lui sommait d’attaquer les païens slaves et baltes de la Baltique, il décide de se lancer dans l’attaque des riches terres de l’Ouest, là où les monastères regorgent de trésors qui n’attendent que d’être pillés par des guerriers ambitieux. L’expédition de Ragnar et sa réussite changeront le destin des vikings comme celui des royaumes chrétiens du sud, que le simple nom de « vikings » terrorisera pendant plus de deux siècles.

La première saison pose absolument tous les codes des mythologies qui seront abordées dans la série. S’il y a un enthousiasme quelconque qui se crée après avoir vu les neuf épisodes de la première saison, pour sûr que Vikings vous aura piégé. Le poison nordique coulera dans vos veines et vous ne pourrez absolument pas décrocher avant d’avoir terminé. La force de la série revient évidemment à l’écriture de Michael Hirst. Déroulant les faits historiques comme un professeur enseignerait sa matière à ses élèves, il arrive sans cesse à nous intriguer sans jamais être rébarbatif. La culture viking se révèle à la fois fascinante, primaire et complexe. Entre sorcellerie et culte de multiples divinités, la foi nordique fascine par l’abnégation qu’elle demande. Les héros dépeints dans Vikings vouent leur vie entière au regard des Dieux. Le talent de scénariste de Michael Hirst est de ne pas stigmatiser ses personnages. Ils sont conscients d’être cruels et aiment susciter la peur, mais derrière le sang, il y a une quête plus noble qui prend tout son sens au fur et à mesure des saisons.

Vikings questionne la notion d’héritage sous toutes ses coutures. Il y a d’abord l’héritage culturel qui apporte son lot de confrontations au fil des rencontres, et qui sera le fil rouge de la série entière. Si, de prime abord, les chrétiens et les nordiques ne partagent pas les mêmes croyances, la série prônera l’écoute de l’autre et l’acceptation. Ragnar sera fasciné par le dogme chrétien et se liera d’amitié avec un moine saxon, Athelstan, qu’il épargnera après la mise à sac de son monastère. Dès lors, Vikings amorce son fil rouge. C’est une série qui n’a jamais caché la finalité de ses propos. La série interroge sur comment des croyances peuvent disparaître au profit d’autres religions. Le tourment de Ragnar, tiraillé entre ses convictions et le christianisme que lui enseignera Athelstan suscitera le début de l’effondrement du château de cartes mis en place par Hirst. Les guerres qui se succéderont au fil des saisons seront religieuses, quoi qu’on en dise. Il n’y a pas de conquête de territoire, pas de véritable envie de règne…il ne s’agit que de sauvegarde religieuse. Malheureusement pour les héros, ils ne solutionneront le problème que lorsque leur mort deviendra inévitable. Vaut-il mieux mourir avec ses croyances ou renoncer à tout ce que l’on connaît afin d’enter sereinement dans un nouvel âge ? Vikings est une série qui nous montre la peur de tout un peuple qui prend, petit à petit, conscience qu’il est voué à disparaître.

Ainsi, avec cette question d’héritage culturel bien en tête, Hirst peut s’amuser à aller et venir entre faits d’armes historiques et pure narration fictionnelle et confère à tous ses héros la destiné la mieux appropriée. Ceux qui ont toujours eu l’âme d’un viking auront droit à leur baroud d’honneur et se verront accéder au Valhalla afin d’y festoyer avec Odin et tous les autres Dieux. Pour les survivants, ils seront, au mieux, reconverti dans la foi chrétienne (d’ailleurs ce qui a démarré avec Ragnar et Athelstan comme une lutte de croyances atteindra son paroxysme lors des dernières minutes de la série avec un des fils de l’un et celui de l’autre), au pire, oublié dans le déshonneur le plus total. Il y a un rythme lancinant qui prend sens lors des dix derniers épisodes de la série. Vikings nous conte comment la mythologie des vikings et ses croyances sont morts. Toutes les figures historiques de la série auront une finalité à la hauteur de leur réputation. Quel tour de force magistral que d’avoir réussi à maintenir le cap sans jamais défaillir une seule fois. Michael Hirst est définitivement un scénariste hors-pair. L’exercice de la conclusion est le plus périlleux (surtout lorsque cela concerne une série télévisée), et on en sortira plus que satisfait. Tous les arcs narratifs sont bouclés, de nouveaux offrent certaines possibilités (des spin-off sont déjà annoncés), on en sort plutôt satisfait, bien que triste de laisser des personnages qui nous auront fait vibrer pendant sept ans.

Une fois l’héritage culturel mis en place en filigrane, il y a, ensuite, l’héritage familial qui prend une place prépondérante dans la série. Et là, plus que le talent de scénariste de Michael Hirst, il faut rendre hommage à celui des acteurs. Ils incarnent leur rôle avec conviction. Quel casting incroyable. Si la série a vu apparaître le nom de quelques stars connues comme Gabriel Byrne ou Jonathan Rhys-Meyers, on lui doit sa force à son casting quasiment inconnu au bataillon. C’est bien simple, de Travis Fimmel à Katheryn Winnick, de Gustaf Skarsgard à Alexander Ludwig ou de Peter Franzen à Alex Hogh Andersen, il n’y a pas un seul acteur à jeter. Le casting semble avoir été taillé sur mesure pour la série. Les acteurs ne jouent pas de leur notoriété, voilà ce qui rend la série palpitante. Chacun joue comme s’il avait des choses à prouver. Quel casting incroyable, vraiment !

On n’est jamais perdu, malgré la pléthore de personnages et d’intrigues, on arrive toujours à savoir qui a un lien avec qui, qui a fait quoi…et c’est une des raisons qui rend le visionnage à la fois palpitant et plaisant. De ce fait, Michael Hirst impose la dimension d’héritage familial au sens premier du terme. Il fait disparaître Ragnar lors de la saison 4. Si la perte du héros principal de la série aura fait des émules, la nouvelle aura remué le temps de quelques épisodes. Hirst avait suffisamment balisé le terrain afin de nous y préparer. Ce qui l’intéresse est de venir nous conter les conséquences d’un tel héritage. Quels chemins vont prendre les fils de Ragnar ? Quel sera celui du fils d’Athelstan ? Est-ce que l’entente spirituelle entre les deux patriarches portera les fruits qu’ils avaient espéré ? Voilà les enjeux des deux dernières saisons de Vikings.

Des enjeux vite oubliés puisque les trahisons et vengeances à tout va aveugleront les personnages sur le chemin tracé par leurs pères respectifs. Mais, et c’est là que les avis divergent quant à l’appréciation de la fin de la série, Michael Hirst ne déviera jamais de son objectif premier qui est celui de venir nous raconter comment (avec les faits historiques en sa possession) la religion viking a disparu. Il ne s’agit pas de faire nécessairement plaisir au public (sans quoi, Ragnar et d’autres personnages emblématiques ne seraient jamais morts), mais de raconter la fin d’une ère, la fin d’une croyance, la fin d’un tout. Sans susciter le chaos total pour autant, Hirst nous prend par la main lors du dernier plan de la série. Tous ceux qui devaient aller au Valhalla et mourir avec leurs croyances ont gagné ce mérite, maintenant, c’est aux survivants d’avancer dans un nouveau monde. Un monde qui était inévitable. Vikings se situe à la croisée des chemins. Ce n’est ni la fin de toute chose, ni le début d’un nouveau tout. C’est une appréciation des conséquences des actes. L’impact philosophique, au-delà de la conviction religieuse, rend le dernier plan à la fois beau et optimiste, mais aussi terriblement mélancolique. Une fin vraiment à la hauteur de la série et des questions qu’elle aura soulevé jusqu’alors.

Les adieux à Vikings se sont fait en douceur. Il fallait que les dix derniers épisodes soient diffusés à la suite. Ils sont pensés comme un tout, comme une longue conclusion qui a besoin de tout ce temps pour en arriver là où elle veut nous emmener. Vikings est définitivement l’une des meilleure série de la décennie passée. Entre son casting impeccable, sa richesse narrative et sa mise en scène impressionnante (on n’en a pas parlé, mais les batailles sont délivrées avec une maestria déconcertante), il nous fallait bien lui rendre un dernier hommage vibrant. Skål !

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