Pieces of a Woman : S’en faut la mort…

Après un magnifique White God en 2014 (superbe exploration des milieux interlopes d’élevage de chiens féroces doublée d’une étonnante histoire d’amour entre une jeune fille et son cher toutou) et un saisissant Jupiter’s Moon en 2017 (curieuse expérience mêlée de bric et de broc interrogeant les codes du film de super-héros non sans réelles audaces), le réalisateur hongrois Kornél Mundruczo fuit son pays natal pour mieux rejoindre le continent outre-atlantique afin de tourner son premier film en langue anglaise : Pieces of a Woman, production canadienne conçue avec le soutien permanent de Kate Wéber (scénariste du film et femme du cinéaste, ndlr) et inspirée de l’expérience traumatique d’une fausse couche dont elle fut la principale actrice et victime en la triste compagnie de son mari et partenaire Kornél Mundruczo.

Constituant d’ores et déjà l’un des candidats favoris aux Oscars 2021 (l’héroïne et possible alter-ego de Kate Wéber est interprétée par la remarquable Vanessa Kirby, récompensée à juste-titre du prix de la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise 2020), Pieces of a Woman reste un morceau de cinéma pour le moins original, inattendu, mais également disparate et totalement déconcertant sur la durée. Disponible sur la plateforme Netflix depuis le 7 janvier dernier, le métrage de Mundruczo tient de la parfaite pièce filmique inégale, tour à tour passionnante, brillante, ennuyante et paradoxalement sans aspérités dans ses moments de creux.

Le film retrace donc, sur une durée de huit mois présentés comme autant de chapitres platement et linéairement collés les uns derrière les autres, le chemin de croix d’un couple ayant survécu à leur enfant mort-né suite à un accouchement à domicile pour le moins laborieux. Scandé en deux parties clairement identifiables (l’accouchement et le traumatisme filmés en un plan-séquence unique de plus de 20 minutes d’une part, les retombées, le deuil et la résilience de l’autre…) Pieces of a Woman s’agit bien d’un film de Mundruczo : personnel, hors des sentiers battus, virtuose à l’occasion, le Cinéma du réalisateur hongrois a toujours témoigné, même dans ses meilleurs résultats, d’un certain manque de cohésion et d’une narration délibérément phagocytée par des sous-textes loin d’être inintéressants mais nettement vampiriques, occultant parfois l’essentiel du propos… En résultent des films souvent très intéressants et ambitieux, mais pas forcément digestes, invitant rarement à la relecture et surtout déséquilibrés dans leur structure… C’est le cas de ce drame étonnant mâtiné de morosité et d’éclats disséminés ça et là, sorte d’étude psychologique ne cherchant jamais à s’attirer la sympathie de son audience, moins spectacle que témoignage, film de moeurs curieusement immersif dans sa première demi-heure et terriblement désarçonnant dans ses 80 dernières minutes…

Après quelques minutes à l’identité incertaine (nous sommes visiblement du côté d’un port marchand de Boston, baignant dans la lumière terne d’un mois de septembre annuellement indéfini), Kornél Mundruczo nous plonge sans ambage dans le vif de son sujet : l’accouchement à domicile de la jeune Martha épaulée de son mari Sean, des premières nausées et des premières pertes aqueuses à l’arrivée d’une sage-femme apparemment peu préparée à l’évènement en passant par l’horreur ultime de la mort du nourrisson. Durant 23 minutes, le réalisateur suit à la trace – et en plan-séquence – le calvaire de Martha (Vanessa Kirby donc, assez extraordinaire…), nous laissant partager chaque mouvement douloureux, chaque hoquet, chaque malaise comme si l’on assistait littéralement « en direct » à la mise au monde de son enfant. Proche du happening, ce premier acte narratif séduit et dérange entièrement le regard, réfutant dans le même temps le sur-filmage et/ou l’esbroufe technique, privilégiant presque la fonctionnalité du dispositif. C’est puissant voire élégant dans sa portée, rehaussé par la dimension personnelle et empirique vécue par le couple Weber-Mundruczo…

S’ensuit une narration bizarrement décousue alimentée par des questionnements familiaux (on découvre la famille de Martha et la belle-famille de Sean, celle-ci invitant la mère meurtrie à porter plainte à l’encontre de la sage-femme, responsable à leur sens de la mort du bébé) et des à-côtés scénaristiques assez dispensables. C’est alors que le film déçoit considérablement, trop psychologique et pas assez incarné (ni par Shia LaBeouf, ni par Ellen Burstyn ni même par Vanessa Kirby, du moins dans cette seconde moitié) et surtout très convenu dans sa portée. On ressort de ce Pieces of a Woman avec le sentiment d’un film au parfum d’inachevé, démarrant presque sur les chapeaux de roues, mais s’enlisant in fine dans une bouillie dramaturgique passablement déprimante. Une déception.

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