La Femme-Objet : Dé(con)struction des sentiments

La sortie vidéo la plus étonnante de la fin d’année 2020 fut, sans nul doute, la réédition du film La Femme-Objet chez Pulse Éditions. Entièrement restauré en 2K, ce film culte de l’âge d’or du cinéma pornographique français a été très largement soutenu au cours d’une campagne Ulule où l’objectif fixé a été atteint à près de 600%. Une aubaine pour l’éditeur qui se congratule de faire vivre une partie du patrimoine cinématographique français encore trop moqué. Sujet tabou par excellence, la pornographie est un monde qui souffre des clichés qui lui collent à la peau. Dans une époque où il n’a jamais été aussi important de devoir informer et éduquer, où un nombre incalculable de podcasts, vidéos YouTube et autres comptes Instagram se battent pour célébrer les bienfaits d’une sexualité épanouie, curieuse et respectueuse, force est de constater que la plupart des gens ont encore un regard bien primitif envers les acteurs de l’industrie du monde pour adultes. La pornographie se paye une image d’univers froid, machiste et barbare… Sans pour autant nier le fait qu’il existe bel et bien ce genre de produit (celui le plus consommé, généralement mis en scène par des hommes cisgenres pour des hommes cisgenres), il y a d’autres productions, d’autres acteurs, d’autres images qui émergent depuis quelques années. Que ce soit la mise en avant d’une communauté pratiquant une sexualité différente de la « norme hétérosexuelle » ou bien des programmes faits par et pour un public ciblé, la pornographie évolue, tente, innove. En dépit du fait qu’elle ne soit pas mise en avant à sa juste valeur, encore trop marquée par une stigmatisation (surtout patriarcale) difficile à enlever, on se congratule de voir émerger des productions comme celles d’Erika Lust qui se battent contre les clichés. Erika Lust est une féministe convaincue qui propose des contenus souvent basés sur des histoires réelles, où la mise en scène de la sexualité redevient ce qu’elle est dans nos vies intimes : un moment de communion, de partage, de tendresse (et de férocité parfois), mais surtout, le meilleur plaisir qui existe sur cette planète ! Tout cela pour dire que la pornographie n’est pas uniquement le monde primaire, sexiste et masculiniste que la société veut que vous croyez qu’elle soit.

Pourquoi parle-t-on d’un âge d’or du cinéma X ? Tout simplement parce que c’est un genre qui, comme n’importe quel genre, a eu son public, a connu une époque où il n’était pas tabou de se déplacer en salle pour aller se délecter de la dernière coquinerie en vogue. C’est une époque où, même si les productions étaient aussi fauchées qu’aujourd’hui, tous les membres d’une production (devant comme derrière la caméra) s’amusaient et créaient. Le cinéma porno était produit de la même façon qu’un film traditionnel. Il y avait de vraies propositions de cinéma. Les cadres et les lumières étaient mûrement réfléchis, les scénaristes se creusaient la tête pour tenir un projet cohérent, et les acteurs s’amusaient réellement. En pleine période de libération sexuelle, le film de Gérard Damiano, Gorge Profonde, a, en 1972, fait l’effet d’une bombe au milieu de cette industrie florissante. L’âge d’or du cinéma x aurait débuté avec ce film, et s’étend jusqu’à l’orée des années 80. S’il y a bien une industrie qui a souffert des avancées technologiques, c’est celle du cinéma pornographique. Beaucoup s’accordent à dire que la VHS a commencé à tuer l’industrie et qu’internet l’a définitivement enterrée. Même s’il reste l’un des produits les plus consommés au monde, le porno n’a plus la valeur culturelle, éducative et divertissante qu’elle avait autrefois. Exception des nouveaux acteurs de l’industrie que nous mentionnions plus haut, le porno est devenu un produit masturbatoire dépourvu de toute notion artistique. Notion que des éditeurs, acteurs et réalisateurs tentent de ramener sur le devant de la scène avec des ouvrages littéraires passionnants, des documentaires instructifs et la réédition de films qui ont fait les heures de gloire de ce cinéma. Ainsi, La Femme-Objet a été choisi par Pulse Éditions comme tête de gondole d’une future probable collection qui devrait, on l’espère, redorer le blason d’une industrie fascinante.

Un écrivain de science-fiction, doté d’une sexualité très exigeante, épuise ses partenaires. Celles-ci le quittent toutes au bout de quelque temps, lassées par sa virilité hors normes. Après plusieurs déceptions, il trouve enfin la partenaire idéale dans un robot qu’il fabrique de ses mains et qu’il programme pour obéir à sa volonté. Mais la créature se retourne contre son maître et le transforme, à son tour, en jouet sexuel.

La Femme-Objet est un film rondement apprécié dans le milieu du X français. Véritable œuvre culte qui révéla la superbe Marilyn Jess, le film de Claude Mulot (signé sous le pseudonyme de Frédéric Lansac) est un objet curieux, étonnant et déroutant qui cache un fond qui aurait dû montrer le chemin vers des productions à la Erika Lust. Bien qu’il s’attarde uniquement sur l’hypersexualité de son héros (incarné par Richard Allan, dit « queue de béton »), le scénario de Mulot dessine, en filigrane, un besoin d’émancipation et une dénonciation d’une maladie encore trop peu représentée. Si l’on connaît beaucoup mieux le concept de nymphomanie (reconnu comme une vraie maladie) qui a été traité de toutes les manières au cinéma (on vous invite surtout à revoir Nymphomaniac de Lars Von Trier), le satyriasis (l’exagération morbide des désirs sexuels chez l’homme) n’a jamais vraiment été pointé du doigt. Même encore aujourd’hui, un homme atteint de satyriasis aura du mal à accepter qu’il souffre et sera vu, par le commun des mortels, comme un macho à l’appétit féroce ; là où une femme nymphomane sera considérée comme une femme facile aux mœurs légers et sera jugée sous le regard d’une société phallocratique encore trop présente. L’inégalité des sexes est dénoncé par Claude Mulot dans La Femme-Objet. Malgré une approche un peu trop consensuelle, il faut souligner l’effort et l’audace (à l’époque) de mettre en scène un homme malade. Il est juste dommage que ce dernier, bien conscient d’être insatiable, ne reconnaisse pas qu’il souffre et fait souffrir ses partenaires. Il se satisfait d’être un sexe ambulant, mais n’est jamais porté en état de grâce ni véritablement adoubé par le réalisateur. Claude Mulot constate des faits et ne pose pas d’étiquette sur les actes de son héros, même s’il n’encourage pas le machisme, à en juger par la conclusion de son film, bien qu’il nous oblige à supporter un personnage exécrable pendant plus de la moitié du métrage. En effet, le robot se fait longuement désirer. Il n’apparaît que vers le milieu du film. Passer autant de temps à exposer les déboires sexuels du héros n’était peut-être pas la meilleure des solutions, exception faite si l’on prend en compte ce besoin d’analyse de la psyché du personnage.

La Femme-Objet est un film qui n’a aucune vocation masturbatoire. Le film est une succession de scènes pornographiques qui en donnerait presque la nausée. Claude Mulot semble vouloir plonger son spectateur dans l’inconscient de son héros. Il ne fait pas l’amour. Lors de ses rapports, il est mutique et désincarné, c’est un malade qui a besoin de sa drogue. Voilà pourquoi le film risque d’être pénible à vivre, c’est définitivement un film sur un homme qui souffre de son hypersexualisation sans le savoir (avec tout le machisme et le sexisme que cela induit). Le rapport de force s’inversera en finalité et il sera confronté à sa propre souffrance, sans pourtant en accepter une quelconque valeur thérapeutique. Le scénario de Claude Mulot ne laisse aucune rédemption à son héros et il semble être nettement plus en accord avec la libération sexuelle de ses personnages féminins. Pour Claude Mulot, une femme doit disposer de son corps, être maîtresse de ses désirs. Il ne manque pas grand chose pour que La Femme-Objet devienne un pamphlet anti-patriarcal, mais peut-être était-il trop en avance sur son temps ? Soulignons, toutefois, une mise en scène exemplaire. Claude Mulot était un amoureux de cinéma. Si les comparaisons avec des œuvres fantastiques sont évidentes (de Pinocchio à Frankenstein), Mulot démontre un savoir-faire impressionnant. La première scène où deux personnages font l’amour sous les draps est d’une exemplarité essentielle. La lumière, le cadrage, l’implication des acteurs…tout est rassemblé pour offrir un spectacle riche et bien pensé. Et ce genre de fulgurance, La Femme-Objet en regorge dans tous les sens, c’est une vraie bible de technicité. La restauration 2K rend justice au travail effectué sur le film, Pulse Éditions ne pouvaient pas mieux lui rendre hommage.

La Femme-Objet inaugure donc une possible nouvelle collection chez Pulse Éditions. Se lancer dans la restauration de films de l’âge d’or du cinéma x français était un pari risqué dans une époque où payer pour du contenu pour adultes ne semble pas être la norme (et ça le devrait). Le blu-ray offre un copie d’une qualité exceptionnelle et est garni d’une ribambelle de bonus gratinés dont, surtout, un long et fascinant entretien avec Marilyn Jess, Richard Allan, Didier Philippe Gérard (l’assistant réalisateur), Francis Mishkind (le producteur) et François About (le directeur de la photographie). La Femme-Objet est un film à la valeur analytique puissante et qui trouvera une place de choix dans votre collection, à n’en point douter.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*