Benny & Joon : De la fantaisie par petites touches

Film discret dans la filmographie de Johnny Depp, coincé entre Arizona Dream, Gilbert Grape et Ed Wood, Benny & Joon est pourtant une œuvre à redécouvrir, une escapade pleine de poésie et de délicates touches de bonheur que Rimini Éditions a eu la bonne idée de sortir en DVD et Blu-ray depuis le 18 novembre dernier. L’occasion de se laisser aller à la découverte d’un film rempli de tendresse où Johnny Depp, forcément fabuleux en rêveur lunaire, va apporter de la fantaisie à la vie bien routinière d’un frère et d’une sœur, les Benny et Joon du titre.

En effet, depuis la mort de leurs parents dans un accident de voiture, Benny s’occupe de Joon qui souffre d’une maladie mentale, la jeune femme étant instable, sujette aux sautes d’humeur et capable, quand elle ne peint pas, de mettre le feu à ce qui lui passe sous la main. Elle a épuisé toutes les femmes engagées par Benny pour s’occuper d’elle et Benny, passant son temps à materner June et à travailler à son garage, s’interdit toute autre forme de vie privée pour privilégier sa sœur. Dans une impasse, ne sachant pas s’il doit se résigner à confier Joon à un établissement spécialisé, il voit sa vie bouleversée quand Sam débarque chez lui, gagné par Joon à une partie de poker où Benny et ses amis parient des objets du quotidien. L’un d’eux, Mike n’en peut plus d’héberger Sam qui est son cousin et l’a donc parié. Bonne pâte, Benny accepte en attendant de trouver une autre solution et il s’avère que Sam, sous ses airs lunaires, son look et ses numéros empruntés aux grands du cinéma muet, fait un bien fou à Joon. Jusqu’au jour où elle tombe amoureuse et que Benny a du mal à accepter que sa sœur puisse développer de tels sentiments et construire une relation solide…

Pas grand-chose de foncièrement original dans le film certes et l’on regrettera d’ailleurs qu’il dévie parfois de son chemin poétique pour aller vers des conflits plus attendus, mais on ne peut qu’admirer la façon dont Benny & Joon, tout en adoptant un ton assez léger et rempli de jolies touches de fantaisie, n’en demeure pas moins sérieux quant au traitement de son sujet. Jamais Joon et ses troubles mentaux ne sont caricaturés ou minimisés par le récit et l’interprétation subtile qu’en fait Mary Stuart Masterson est remplie de pudeur et de justesse, n’occultant jamais la gravité de son état sans pour autant verser dans le pathos. Certes Joon est instable, mais elle est aussi beaucoup trop maternée par Benny qui a évidemment du mal à lâcher prise avec sa sœur, lui qui a organisé sa vie en fonction d’elle. Aidan Quinn, acteur qui a trop vite disparu des radars après des années 80 et 90 assez fastes, se montre très à l’aise dans ce rôle, le plus ingrat du film car le plus terre-à-terre tout en étant paradoxalement le plus touchant tant il parvient à donner du cœur à ce frère imparfait mais aimant, vacillant et envisageant difficilement sa vie loin de sa sœur. Sam, à qui Depp prêt merveilleusement son visage encore juvénile et son air lunaire, apparaît au bout de vingt minutes de film, mais s’impose comme le cœur du récit, celui qui par sa simple présence et son existence mystérieuse dont on ne ne saura rien, bouleverse les personnages en leur montrant qu’il existe une autre voie que celle qu’ils ont emprunté.

Construisant son univers par touches, à la manière des peintures de Joon, le film est truffé d’idées irrésistibles (le poker où l’on mise raisonnablement des objets du quotidien, les croques-monsieur cuits au fer à repasser, les numéros de Sam) et déroule son récit avec tendresse, regardant ces personnages avec une belle empathie, qu’ils soient hors normes comme Joon et Sam ou plus solidement ancrés dans la réalité comme Benny, brave type ayant du mal à concevoir l’univers dans lequel évolue sa sœur. Sans jamais juger et en offrant à ses personnages un récit simple mais plein d’amour, Benny & Joon s’impose comme un film délicat que l’on découvre avec bonheur, nous montrant que la poésie peut s’inviter par n’importe quelle porte de notre vie à condition qu’on veuille bien la laisser entrer. Une bien belle leçon, que Jeremiah S. Chechik (futur réalisateur de l’adaptation ciné de Chapeau melon et bottes de cuir, ouch !) dispense avec un beau talent que la suite de sa carrière ne lui permettra malheureusement pas de confirmer.

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