Le pays de la violence : Walking on the line

Continuant son formidable travail d’édition de précieux films du patrimoine américain, Sidonis Calysta a sorti l’artillerie lourde avec Le pays de la violence, film relativement méconnu de la carrière de John Frankenheimer (Un crime dans la tête, Sept jours en mai), mais qui mérite amplement d’être découvert et examiné sous toutes ses coutures. Une édition collector avec Blu-ray, DVD et livre est ainsi disponible chez Sidonis depuis le 5 décembre dernier, l’occasion de se plonger dans une petite bourgade du Tennessee, rythmée par les chansons de Johnny Cash qui donne au film son titre original : I walk the line, bien plus pertinent que Le pays de la violence qui ne veut pas dire grand-chose.

Dès sa séquence d’ouverture, le film dit beaucoup de choses. L’existence du shérif Henry Tawes est morne et sans surprises. Gregory Peck, l’œil éteint, la mine fatiguée, donne corps à un personnage lassé de son travail (qui consiste à régler des querelles de voisinage) et de son mariage avec une femme compréhensive mais avec laquelle il ne partage plus rien. Et le voilà qui rencontre la jeune Alma McCain, blonde pétillante aux airs naïfs dont le charme juvénile fait des ravages. En quelques instants, Tawes voit son existence chamboulée. Alma étant la fille d’un distillateur d’alcool de contrebande poursuivi par l’état, le shérif envoie valser toutes les conventions. Il trahit son couple et la loi qu’il est censé faire respecter, camouflant aux yeux d’un agent du gouvernement les activités de la famille McCain. Fou d’amour, prêt à tout quitter pour Alma, il ne semble pas réaliser qu’il est manipulé et sa carapace se fissure peu à peu, prête à imploser à tout moment…

Longtemps passé inaperçu, à la fois dans la carrière de Frankenheimer et de Gregory Peck (qui s’estimera relativement mécontent du résultat final, considérant que le meilleur de ce qui avait été tourné est resté dans la salle de montage), Le pays de la violence est pourtant un grand film américain, profondément ancré dans la mouvance du Nouvel Hollywood, s’identifiant clairement comme une production des années 70, à la fois par sa mise en scène plus brute qu’à l’accoutumée de la part du cinéaste mais également par ses thématiques, explorant l’envers de l’Amérique et de sa violence sous-jacente. Ainsi, le film nous montre une petite ville en décrépitude, comme coincée dans une boucle temporelle. Le père de Tawes attend depuis des années le retour de sa femme et de ses filles décédées dans un accident, sa femme lit le Reader’s Digest pour combler le vide de son existence, son adjoint est un type libineux parfaitement inquiétant, le père d’Alma distille de l’alcool pour survivre tant bien que mal comme si l’on était encore à la Prohibition et n’a aucun scrupules à pousser sa fille dans le lit des hommes pouvant arranger ses affaires. Alma elle-même, dans un mélange de candeur et de séduction, semble parfaitement au courant de ses charmes tout en jouant les naïves et les innocentes, causant la perte du shérif qui voit en elle la seule échappatoire de son existence.

On a rarement vu Peck dans un tel rôle, cédant à ses pulsions et il faut dire que l’on a connu l’acteur plus à l’aise. S’il joue parfaitement bien l’homme lassé de sa propre vie, il est beaucoup moins convaincant dès qu’il s’agit de jouer la passion amoureuse. Tuesday Weld vient cependant équilibrer le tout avec une prestation qui fait des ravages, crevant l’écran dans une délicate partition, captant toutes les nuances de son personnage, à la fois victime et manipulatrice dans ce qui s’avère le meilleur rôle de sa carrière. Cette peinture de l’americana en perdition, comme en décomposition et ce portrait d’un homme intègre lâchant tout ce pour quoi il s’est toujours défendu simplement pour se sentir vivre à nouveau font de ce Pays de la violence un morceau immanquable pour appréhender le cinéma américain des années 70 dans sa richesse et affirme Frankenheimer comme un cinéaste décidément éclectique dont la carrière est définitivement à remettre en avant dans les cercles cinéphiles.

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