Coffret 5 Pink Films Vol. 1-5 : l’érotisme et son audace

En décembre de l’année dernière, Elephant Films sortait un coffret massif consacré au genre du Roman Porno japonais. Cette année c’est au tour de Carlotta Films de s’aventurer sur les terres de l’érotisme japonais avec un coffret réunissant cinq pink films sorti le 30 septembre dernier. Intitulé Volumes 1-5, le dit coffret laisse supposer qu’il aura le droit à d’autres volumes mais en attendant, il est bon de se laisser tenter par les films de cette sélection éclectique et exigeante avec des titres qui laissent songeurs : Une poupée gonflable dans le désert, Prière d’extase, Une famille dévoyée, Deux femmes dans l’enfer du vice et Chanson pour l’enfer d’une femme. Tout un programme, dans lequel on se plonge avec délectation, bien évidemment !

Au début des années 60, l’arrivée de la télévision dans les foyers japonais et l’apparition de nouvelles formes de loisirs divisent de moitié la fréquentation des salles de cinéma. Pour faire venir du monde en salles, les producteurs inventent le pinku eiga : des films avec peu de budget, destinés essentiellement au public masculin où celui-ci va pouvoir y découvrir de la chair, des femmes nues et des ébats sexuels. Les seules contraintes du genre sont le budget, très limité, et l’obligation d’y mettre du sexe. Mais on constatera étonnamment qu’en dehors de ça, les producteurs ne sont guère regardants sur le contenu et la forme des films. Il en résultera une production massive et surtout très inventive, le pink film n’ayant pas peur d’aborder des nouvelles formes de mise en scène tout en concentrant dans son récit des thématiques sociales très fortes, de celles qu’on ne voyait guère dans le cinéma plus classique. La liberté qu’on y découvre est inédite et comporte un véritable intérêt cinématographique. Pour illustrer ce panorama du cinéma pink, Carlotta a choisi les cinq films de ce coffret avec une belle exigence, illustrant parfaitement tout ce qui fait le sel de ce cinéma, en dehors de sa sexualité ouvertement affichée.

Une poupée gonflable dans le désert

Le programme commence fort avec le premier film du coffret qui met tout de suite dans le bain : Une poupée gonflable dans le désert est le plus radical d’entre tous, film pink à l’épreuve de toute classification, flirtant avec le thriller et l’univers hard-boiled des polars américains tout en affichant un montage volontairement déstructuré et une mise en scène quasi-surréaliste où se mélangent figures de style, symbolisme fort et psychologie trouble. Un film fascinant à analyser sous toutes ses coutures mais dont la découverte secoue et remue profondément.

Remués, on le sera aussi devant Prière d’extase, notre film favori de la sélection. Dans cette œuvre réalisée par le radical Masao Adachi (qui passera trente ans de sa vie dans le maquis moyen-oriental en luttant pour la cause palestinienne et qui après avoir fait un séjour en prison est désormais interdit de sortie du territoire japonais), on suit un groupe d’adolescents expérimentant les limites du sexe pour réussir à le vaincre dans sa dimension charnelle pour l’amener vers une dimension spirituelle, leur seul refuge dans ce début des années 70 où la société japonaise se modernise jusque dans ses paysages urbains, ceux-ci, gris et droits, enfermant les personnages dans des cadres aussi mornes que la vie qui les guette (l’œuvre de Ballard n’est pas loin). Lorsque Yasuko, 15 ans, tombe enceinte, cela bouleverse l’équilibre du groupe, Yasuko allant jusqu’à se prostituer pour combler le vide de son existence. Ce portrait adolescent vibrant et empreint d’une mélancolie absolument dévastatrice (une voix-off rythme le film comme une litanie en lisant régulièrement les véritables notes de suicide d’adolescentes dont l’étonnante  »personne ne comprendra jamais qui je suis au fond ») est loin de conforter son spectateur venu le découvrir pour voir de la chair. Il en sort au contraire lessivé, brisé par ce portrait d’une génération qui ne se reconnaît pas dans ce monde et qui veut trouver un moyen d’y échapper, Adachi enfonçant le clou jusqu’à nous montrer un embryon mort expulsé dans des toilettes au cours d’une séquence glaçante.

Prière d’extase

Les considérations sociales sont, on le remarquera, au cœur du cinéma pink qui n’a peur de rien et refuse les conventions, abordant avec une rage non-contenue les préoccupations de son époque. Deux femmes dans l’enfer du vice (tout en embrassant son esthétique psychédélique, son générique allant jusqu’à s’inspirer de celui de Goldfinger) illustre parfaitement cela puisqu’il voit un homme endetté suite à un krach boursier contraint d’offrir à sa femme à son créancier. Non seulement celui-ci abuse sans vergogne de la femme mais il la donne également à son fils attardé comme distraction. Quand la femme sera victime d’un accident, ce sera au tour de Mariko, sa fille, de se prostituer pour venger ses parents… La sexualité y est présentée comme une arme, potentiellement la seule dont les femmes peuvent se servir dans ce monde, celles-ci n’ayant qu’à user de tous les stratagèmes possibles pour vaincre les hommes, libidineux, cruels et pervers quand ils ne sont pas lâches et impuissants. Si Mariko sera punie pour ses crimes en prenant trop confiance dans son pouvoir de séduction, le créancier de ses parents le sera également, sodomisé par son propre fils dans une scène d’inceste dont on se demande encore comment elle a pu passer la censure !

Plus éloignés du côté social, Chanson pour l’enfer d’une femme et Une famille dévoyée n’en sont pas moins intéressants. Chanson pour l’enfer d’une femme a la particularité d’être un film d’époque, mettant en scène la terrible tueuse Okayo Benten dont le tatouage dans le dos attire les convoitises et mène à elle un homme mystérieux. Combats aux sabres et mise en scène inventive sont au rendez-vous de ce film inédit, brassant folklore japonais et sexe affiché sans pudeur. Tamaki Katori, vedette du tout premier pink film de l’histoire de cinéma (Le marché de la chair dont seules une vingtaine de minutes sont désormais visibles) y incarne ici la féroce Okayo Benten avec un charisme particulièrement intense.

Deux femmes dans l’enfer du vice

Une famille dévoyée, de son côté, surprend en mêlant pink et le cinéma de Yasujiro Ozu ! Premier film de Masayuki Suo qui réalisera plus tard Shall we dance ?, Une famille dévoyée est en effet un réjouissant hommage à Ozu et l’on comprend pourquoi Carlotta, qui travaille sur le cinéma d’Ozu depuis longtemps, a sélectionné le film pour compléter le coffret. En effet, dans ses choix de cadrage fixes, sa mise en scène posée et ses nombreuses références à d’autres œuvre d’Ozu, que ce soit dans les thématiques de la famille ou dans quelques clins d’œil amusants, Une famille dévoyée est empreint de respect envers le grand cinéaste pour mieux en détourner les récurrences. Ici, la famille est donc totalement perverse, entre adultère, sado-masochisme, frustration sexuelle, voyeurisme et prostitution qui rythment un récit haut en couleurs, qui paie son tribut à Ozu sans pour autant verser dans la pure parodie. Tourné dans les années 80, Une famille dévoyée permet également de montrer l’évolution de la société japonaise, dont la modernité et le capitalisme rejetée par les adolescents de Prière d’extase, sont désormais acceptées sans pour autant avoir réglées les problèmes des personnages dont la sexualité semble être le seul exutoire à ce monde.

Sans être exhaustif, ce panorama du cinéma pink que nous offre Carlotta (que l’on espère bien voir complété) est en tout cas suffisamment disparate pour nous en dévoiler les grandes lignes. Derrière la chair qui se caresse et se fait du bien, le pinku eiga a toujours farouchement dévoilé ses ambitions : l’exploration des formes quitte à frôler l’expérimental et le regard pertinent sur la société japonaise, quitte à montrer ouvertement ce qui ne va pas. Non seulement cela a permis aux spectateurs avides de sexe d’en voir à l’écran mais cela a offert un formidable terrain de jeu à de nombreux cinéastes dont on redécouvre aujourd’hui l’audace et l’importance. Preuve que l’on peut faire du cinéma érotique intelligent. Vous connaissez l’adage : avoir quelque chose à dire c’est bien, avoir quelque chose à dire en montrant des fesses en passant, c’est mieux.

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