L’homme qui voulut être roi : La folie des grandeurs

Après Rimini Editions qui a édité Le Lion et le Vent, c’est au tour de Wild Side Video de rendre hommage à Sean Connery en sortant, dès le 16 décembre prochain, L’homme qui voulut être roi dans une édition collector avec Blu-ray, DVD et livre revenant sur la genèse du film et son tournage par Samuel Blumenfeld. En dépit d’un prix onéreux, ce coffret, qui n’aura pas d’édition simple, s’impose donc comme indispensable, garni de bonus, le cadeau idéal à mettre sous le sapin de Noël de tous les cinéphiles. En effet, non content d’être l’un des plus beaux rôles de Sean Connery, L’homme qui voulut être roi est aussi un des plus grands films d’aventure de l’histoire du cinéma et l’une des réussites les plus exemplaires de son réalisateur, John Huston, qui adaptait ici une nouvelle de Rudyard Kipling dont il rêvait depuis près de 20 ans (où à l’époque il avait pensé réunir Humphrey Bogart et Clark Gable).

Il n’est d’ailleurs guère étonnant de voir ce qui a attiré Huston dans le récit de Kipling. Le cinéaste a toujours aimé les personnages de perdants magnifiques, lancés dans des quêtes illusoires en vue de faire fortune (Le trésor de la Sierra Madre, Quand la ville dort), de retrouver leur gloire passée (Fat City) ou d’assouvir une obsession les rongeant (Moby Dick). Ici, nous suivons Daniel Dravot et Peachy Carnehan, deux anciens soldats britanniques qui, dans l’Inde colonisée de la fin du XIXème siècle, décident de se lancer dans un pari fou qu’ils partagent avec Kipling, alors journaliste au Northern Star : rejoindre la province perdue du Kafiristan déchirée par des luttes entre clans, s’imposer avec leurs armes à feu, rallier tous les clans à leur cause et devenir rois du pays !

Leur projet est d’autant plus fou que parvenir au Kafiristan est en soi tout un périple. Mais dès leur arrivée, ils parviennent rapidement à allier à eux un clan qu’ils mettent sur le sentier de la guerre. Lors d’une bataille se joue un coup du destin qui va faciliter leur ascension au pouvoir, Daniel reçoit une flèche, qu’il retire de son torse sans saigner. Peachy et lui-même savent bien que c’est sa cartouchière qui l’a sauvé d’une grave blessure mais le peuple voit en lui un dieu, le descendant d’Alexandre le Grand qui avait conquis le pays des siècles plus tôt. Les choses s’enchaînent alors très vite, Daniel étant convoqué par les grands prêtres dans la ville sainte de Sikandergul où il est couronné roi. Les deux complices ayant réussi avec une chance incroyable, Peachy souhaite prendre les richesses et quitter le pays pour rentrer en Angleterre avec une fortune mais Daniel, se prenant au jeu dans sa fonction de roi et de dieu entend rester sur place et régner, dévoré par des rêves de grandeur et de postérité. Sa volonté de prendre une femme, acte charnel inconcevable pour un dieu aux yeux des fidèles, causera sa perte…

C’est donc une histoire toute taillée pour Huston que L’homme qui voulut être roi. Le cinéaste a toujours été un baroudeur et un aventurier, se taillant sa légende à Hollywood à grands renforts d’anecdotes revêtant un caractère plus ou moins mystifié. Admirateur de Kipling, il ne pouvait qu’être à l’aise sur un tel projet, qu’il dirige effectivement de main de maître. Ayant trouvé en Sean Connery et Michael Caine les interprètes qu’il lui fallait (Huston aimait caster ses acteurs au plus proche de leurs personnages, afin de faciliter la direction d’acteurs sur le tournage) et en Alexandre Trauner le chef-décorateur à même de retranscrire la splendeur de Sikandergul au Maroc (quitte à dépasser le budget), le cinéaste ne semble pas avoir besoin de faire beaucoup d’efforts pour faire de L’homme qui voulut être roi une éminente réussite, farouchement personnelle, prolongeant à merveille toutes les thématiques hustoniennes.

Cette fable sur l’ivresse du pouvoir et l’oubli de soi à force d’être considéré comme un dieu par les autres est d’une pertinence redoutable mais elle n’en est pas moins traitée avec malice par Huston qui ne peut évidemment s’empêcher d’admirer le caractère bravache et cynique de ses deux héros, souhaitant utiliser leurs connaissances impérialistes pour faire fortune sur le dos d’un pays. Ils parviendront (étonnamment pour un film de Huston) à leur but, mais paieront le prix de leur imposture : les coïncidences ayant mené Daniel à être considéré comme un dieu peuvent être vues comme des signes du destin, mais c’est bien par son caractère profondément humain que Daniel causera sa propre chute, incapable d’être à la hauteur de l’image qu’il renvoie aux autres. Sean Connery excelle dans ce rôle (le premier de sa carrière où il dévoile sa calvitie) avec une roublardise d’autant plus savoureuse qu’elle est rare tandis que Michael Caine, le plus lucide des deux, fidèle compagnon à l’intelligence vive, fait évidemment des merveilles dans cette partition.

Ce duo de cinéma, allié à un scénario brillant et à une mise en scène grandiose, est l’une des grandes forces de cet Homme qui voulut être roi, réussite exemplaire, réflexion brillante sur la folie des grandeurs de l’homme, rapidement enivré de son propre pouvoir sans réellement penser aux conséquences que cela implique. Un sujet tristement d’actualité encore aujourd’hui, mais qui a bien plus de panache quand il nous est conté par John Huston.

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