Jean-Paul Belmondo : le Bélier magnifique

Depuis maintenant plus d’un mois l’Hexagone s’est une nouvelle fois retranché sur son quant-à-soi et dans l’individualité des foyers, en raison d’une crise sanitaire dont il est décidément difficile de voir le bout. Au corps défendant de chacun, les salles de cinéma ont été dans l’obligation de fermer jusqu’à nouvel ordre, même si officiellement la date du 15 décembre 2020 semble de plus en plus être l’issue vers une réouverture plus que salutaire pour le public et les cinéphiles. En attendant ladite manne, la plateforme Netflix (principal compromis de lecture de films en tous genres en ces temps de liberté précaire) a, depuis la date du 2 novembre, proposé un choix de 16 films tournant autour de la figure mythique de Jean-Paul Belmondo, sans doutes à dessein d’apporter une bonne dose d’euphorie à l’audience. En effet : quoi de mieux, quelle aubaine plus recommandable que de redécouvrir les films dans lesquels l’acteur (populairement surnommé Bébel) a joué de son charisme et de son cabotinage tour à tour irrésistible et agaçant à l’aune de cette interminable disette sociale et humaine ? Retour et bref portrait d’une figure emblématique du cinéma français, partie du cinéma de Jean-Luc Godard et de son incontournable Nouvelle Vague pour mieux devenir par la suite une star des divertissements populaires made in France dans le courant des années 70 et 80.

A Bout de Souffle de Jean-Luc Godard (1959)

Acteur saisissant, figure héroïque et cascadeur hors-paire, Jean-Paul Belmondo naît à Neuilly-sur-Seine le 9 avril 1933, sous le signe primesautier du Bélier. Découvert par le grand public à la fin des années 50 sous les traits du voyou Michel Poiccard dans le A bout de Souffle de Godard, le comédien frappe d’emblée par sa gueule et sa gouaille désinvoltes, ses mimiques légendaires (un pouce négligemment passé sur les lèvres, quelques grimaces tragiques en forme d’affronts…) et sa puissance physique. La doxa s’identifie encore davantage à l’acteur lorsque ce dernier enchaîne les productions plus ou moins calibrées à partir du début des années 70, dans ce qui sera plus tard identifié comme une succession de « bébéleries ». Il va alors sans dire qu’un film avec Jean-Paul Belmondo est avant tout un film de Belmondo, ou du moins sur Belmondo : de presque toutes les scènes en fonction du métrage et du réalisateur (de Jean-Pierre Melville à Philippe de Broca en passant par Georges Lautner, Henri Verneuil ou encore Jacques Deray), Bébel incarne le héros par excellence, l’acteur-caméléon capable aussi bien de représenter le flic, le voyou ou encore le marginal ou le clown facétieux. Nous vous proposons ici de retourner sur cinq des longs métrages diffusés sur Netflix depuis début novembre, films dans lesquels l’acteur s’est à chaque inventé puis réinventé au gré de ses incessantes tribulations.

Bébel et Philippe De Broca ou Le Magnifique.

En 1973 sort ce qui restera probablement comme un incontournable bébélien : Le Magnifique de Philippe De Broca, comédie parodique au cœur de laquelle l’acteur mythifie et démythifie sa figure d’aventurier au détour d’un double-rôle de composition somme toute très rafraîchissant. Incarnant à la fois le héros de roman d’aventures Bob Sinclar auquel absolument tout réussit et son médiocre créateur et écrivaillon François Merlin, Belmondo y va tête baissée, opérant lui-même ses cascades tout en arborant son insolent sourire en la personne de Bob ; plus de 30 ans avant Michel Hazanavicius et son diptyque OSS 117, De Broca use d’un style remarquablement inventif et hautement pastiché, montrant donc Bébel au travail (Sinclar) comme à la ville (Merlin). À la manière d’un Douglas Fairbanks, Bob Sinclar alias Belmondo incarne l’homme aventurier et aventureux capable de se dépêtrer de toutes les situations, s’entichant de belles demoiselles et volant dans les plumes avec éloquence. Le film de De Broca est dense et prodigue en termes d’idées de mise en scène, brillamment écrit (Le Magnifique fut initialement scénarisé par le très méthodique Francis Veber, non-crédité au générique suite à un long différend avec le réalisateur) et littéralement indispensable pour une découverte du comédien-titre.

Le Magnifique de Philippe de Broca (1973)

Bébel et Henri Verneuil ou Le Corps de mon Ennemi.

Trois ans après le magnifique festival de Philippe De Broca, Jean-Paul Belmondo retrouve le cinéaste Henri Verneuil rencontré au début des années 60 (d’aucun se souvient du superbe Un Singe en Hiver dans lequel l’acteur incarnait un jeune alcoolique désabusé aux côtés d’un Jean Gabin brusque et chagrin) pour une production particulièrement ambitieuse et – de fait – moins comique et donc plus sérieuse. Le Corps de mon Ennemi, drame aux confins du film policier, narre le parcours d’un anti-héros paradoxalement héroïque nommé François Leclercq, homme fraîchement sorti de prison à l’orée du métrage et revenant dans la ville imaginaire de Cournai afin de se venger des personnes l’ayant calomnié et traîné dans la boue… Le scénario fait immanquablement penser au futur Coup de Tête de Jean-Jacques Annaud, comédie tournée deux ans plus tard avec le grand Patrick Dewaere : les deux métrages partagent le même sens du récit aux enjeux un rien monomaniaques, montrant dans les deux cas un personnage principal conspué, mais à la personnalité certaine, ayant droit à sa petite histoire d’amour et à son éventuel salut. Film à la reconstitution impressionnante (Cournai, lieu de l’intrigue, tient place dans la périphérie de Lille subtilement réinventée par Verneuil au gré des époques, dans la mesure où cette fable revancharde retrace en partie l’enfance du personnage de Leclercq), Le Corps de mon Ennemi n’est certes pas le film le plus représentatif du mythe Bébel mais s’avère suffisamment réussi pour mériter que l’on s’y attarde…

Bébel et Georges Lautner ou Le Guignolo et Le Professionnel.

Au tout début des années 80 sortent pratiquement coup sur coup deux bébéleries, respectivement Le Guignolo en 1980 et Le Professionnel l’année suivante. Un peu à la manière d’un Philippe De Broca, Georges Lautner héroïse Belmondo en privilégiant toutefois davantage l’action et les cascades, lui apposant une dimension baroudeuse allant de paire avec l’aspect comique attribuable au comédien. Si Le Guignolo s’avère tout de même assez décevant (pitreries excessives transformant le cabotinage de l’acteur en pantalonnade parfois redondante et tournant sur elle-même), Le Professionnel séduit plus, malgré une introduction exotique assez impersonnelle et presque indépendante du reste du métrage. Le second film bénéficie en outre de l’incontournable Chi Mai de Ennio Morricone – leitmotiv jouant encore une fois sur l’aspect emblématique de Bébel et sur sa dimension épique – et de l’écriture dialoguée de Michel Audiard réservant quelques répliques cultes et bien senties (nous vous renvoyons là à la célèbre scène du café et du croissant réunissant Jean-Paul Belmondo et le second couteau Bernard-Pierre Donnadieu). On notera également l’incontournable séquence de l’hélicoptère dans le précédent Guignolo, petit morceau de bravoure au cœur duquel Belmondo fait l’effet d’un nouvel Arsène Lupin grandiloquent et résolument populaire.

Le Professionnel de Georges Lautner (1981)

Bébel et Alexandre Arcady ou Hold-Up.

Sur un scénario et des dialogues écrits par Francis Veber (encore), Alexandre Arcady tourne Hold-Up à Montréal au coeur des années 80, donnant à Bébel le rôle désopilant d’un braqueur de banque grimé en clown et flanqué d’un copain pleutre (Guy Marchand, très convaincant en complice ridicule et ridiculisé) et de sa femme passionnée par l’aventure. À notre sens terriblement sous-estimée, cette comédie policière nous offre également la présence d’un Jean-Pierre Marielle impérial en commissaire mené par le bout du nez par notre redoutable auguste et celle de Jacques Villeret excellent en chauffeur de taxi burlesque… Un divertissement pur et dur faisant la part belle aux sentiments fraternels et à la mécanique d’un scénario finalement assez improbable, mais tout à fait bien et rondement mené par Veber ; le film commence par un braquage de haute volée dirigé par Grimm (Bébel, parfait en clown cabotin) et ses deux acolytes puis se poursuit par leur cavale dont nous vous épargnons la chute en ces lignes… Hold-Up semble ne pas avoir trouvé la critique à l’époque de sa sortie en 1985, sans doutes en raison de l’emploi redondant d’aventurier malicieux que campe Jean-Paul Belmondo depuis moult métrages ; il reste à notre sens un petit plaisir joliment divertissant, sans grande prétention, mais à la sympathie fièrement communicative…

Il aurait été bien difficile de résumer l’intégralité de la filmographie de notre Bébel national, cause de cette sélection tout à fait réduite de films plus ou moins importants, mais toujours révélateurs du charisme du grand homme. Aussi à l’aise dans le rôle du parfait héros d’épopées littéraires à répétition que dans celui du pitre génial en passant par l’emploi de l’outsider revanchard, Jean-Paul Belmondo fut l’acteur de près de 90 longs métrages s’étalant sur plus de soixante ans de cinéma. Il était temps de lui rendre un bref hommage tout en conviant les cinéphiles à découvrir ou redécouvrir ses divers classiques, preuve d’une légende encore et (heureusement) toujours vivante actuellement…

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