Le Jeu de la dame: Addiction et mat

Il peut arriver que Netflix offre des programmes originaux de qualités. Et Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit en VO) en est une preuve plus que légitime. Sortie le 23 octobre dernier et créée par Scott Frank et Allan Scott, elle est adaptée du roman éponyme de Walter Tevis.

Le titre de cette minisérie fait référence au célèbre jeu compliqué mais fascinant, les échecs. À première vue, le thème peut sembler assez rasoir et inintéressant. Mais Le Jeu de la dame mérite pourtant toute notre attention. Elle est actuellement dans le top 10 de Netflix en France, et a lancé une augmentation conséquente de la vente échiquiers dans le monde. Certains joueurs d’échecs l’apprécient également. Et il y a de quoi. Le champion russe Garry Kasparov et l’entraîneur américain Bruce Pandolfini ont conseillé les créateurs de la série.

Le Jeu de la dame nous replonge dans les années 50. C’est l’Amérique de la ségrégation, de la guerre froide et de la course à l’espace. Dans tous ses évènements, une jeune orpheline du nom de Beth Harmon (Anya Taylor-Joy) excelle dans l’art de l’échec. Tout ce qu’elle sait, elle le tient du bon vieux Monsieur Shaibel (Bill Camp), le gardien de l’orphelinat où habitait cette dernière de son enfance à son adolescence (après la mort de sa mère et avant d’être adoptée par les Wheatley). Un bien triste endroit, au fin fond du Kentucky, tenu par la main de fer d’Helen Deardorff, (Christiane Seidel) la directrice.

Les moments de « bonheur » furent ceux qu’elle passa à jouer. Sa technique s’améliorant, elle évolue dans ce monde si restreint essentiellement composé d’hommes. Ils ne cessent, d’ailleurs, de lui rappeler sa condition de femme de son époque. Pas de chance pour eux. Du haut de ses 8 ans, cette jeune fille à la coupe au carré est une véritable prodige.

La série s’ouvre à Paris en 1967. Beth Harmon dispute un match contre l’impassible champion du monde russe Vasily Borgov (Marcin Dorcinski). La tension est à son comble. Les enjeux sont bien au-delà du simple fait de gagner cette partie. Les Etats-Unis et la Russie étaient à cette époque « en compétition » dans plusieurs domaines. Et nous avons affaire, ici, à une guerre froide au sein d’un jeu avec des pions dans un décor Haussmannien. Quelques minutes plus tard nous entrons dans l’enfance de cette jeune femme.

On se rend très vite compte qu’avec sa douleur liée à la perte de sa mère et la prise de médicaments (que l’orphelinat donne pour calmer les enfants) elle se réfugie dans ce jeu complexe. Depuis son jeune âge, elle est accro aux fameuses petites pilules vertes. Cela lui permet de visualiser le jeu d’échec et de pouvoir «jouer dans sa tête ». Mais ses pilules servent surtout à calmer ses angoisses et l’aident à se focaliser sur le plus important. Plus tard, c’est l’alcoolisme qui la guette.

Le thème de l’addiction se retrouve dans les autres œuvres de Walter Tevis, l’auteur souffrant lui-même d’alcoolisme et de mélancolie. D’une manière plus globale (dans d’autres productions audiovisuelles par exemple), c’est également du déjà-vu, mais l’exploitation en est différente. Dans Le Jeu de la dame, la protagoniste ne ressemble pas aux habituelles personnes dépendantes. Son but n’est pas d’oublier sa vie, mais uniquement de se consacrer pleinement aux échecs. Dans ce sens, il manque à la série un soupçon de noirceur afin de remplir toutes les cases du genre psychologique. La réalisation n’explore pas assez les côtés sombres de Beth. Les créateurs la réduisent à une simple accro aux pilules dans un but uniquement pratique.

L’hypnotique Anya Taylor-Joy incarne parfaitement cette jeune femme tourmentée, en proie à des longs moments de solitude et de combats intérieurs. Son jeu transperce notre écran et nous en sommes captivés d’une manière assez frappante. Son personnage la force à contrôler ses émotions, pourtant ses grands regards révèlent bien des fêlures émotionnelles.
Au premier abord, nous avons affaire à une fille froide, parlant de manière assez mécanique. Comme si pour elle, parler et exprimer des choses étaient une perte de temps. Mais c’est uniquement parce qu’elle a grandi dans un manque d’affection maternelle (malgré une relation complice, mais compliquée qu’elle entretient avec sa mère adoptive). Cependant, et heureusement pour nous, elle esquisse un sourire ravi dès qu’elle gagne un tournoi. Elle n’est donc pas complètement « insensible ». L’actrice, ici, n’a pas besoins de pleurer ou de crier pour laisser transparaître sa nervosité ou sa détresse émotionnelle. Elle nous avait déjà prouvé ce talent dans Split de M. Night Shyamalan sorti en 2016.

Dans Le Jeu de la Dame, elle partage l’affiche avec Harry Melling (alias l’adorable Dudley Dursey qu’on retrouve au sein de la saga Harry Potter) dans le rôle Harry Beltik, un ancien champion du Kentucky et Thomas Brodie-Sangster (Newt dans Le Labyrinthe). Lui joue le champion des Etats-Unis, Benny Watts. Tous deux savent sortir de l’ombre d’Anya Taylor-Joy afin que l’on puisse se rendre compte de leurs performances.

La popularité de ce nouveau programme original signé Netflix ne vient pas seulement du casting, mais de l’intention qu’il attache aux détails. Comme évoqué précédemment, des conseillers notables ont porté un regard sur cette série. Afin qu’elle soit la plus réaliste possible et respecte, au mieux, les principes du jeu en question. La musique composée par Carlos Rafael Rivera est un habile mélange de notes de pianos avec en fond des instruments à vent. Elle accompagne ainsi la protagoniste dans ses réflexions, les flashbacks de son enfance solitaire et introvertie. La plupart des scènes sont rythmées par le bruit des chronomètres que les joueurs utilisent afin de connaître leurs temps de jeux, ajoutant une tension supplémentaire.

Tout tourne donc autour de cette passion qui anime tant Beth. La musique évolue en même temps que la prodige. Si au début de la série nous avions de légères notes moroses, avec son ascension fulgurante, ce sont des instruments à cordes qui l’accompagnent. Cela signent le passage de l’enfance/adolescence à la vie de jeune adulte. Une affirmation de sa sensualité, une exploration de son potentiel féminin ainsi qu’une forme d’émancipation. Et on le ressent notamment par son changement d’apparence.

Elle devient, alors, une femme et développe en conséquence un goût plutôt prononcé pour la mode. Ses tenues sont d’ailleurs inspirées du jeu. La costumière Gabriel Binera pris le soin d’utiliser des carreaux tout au long de la série pour faire un subtil rappel aux échiquiers. Rien n’est laissé au hasard. De même pour le décor qui est une parfaite reconstitution de l’Amérique des années 50-60. Un vrai coup de maître.

Les dialogues s’articulant autour des techniques de jeu rendent le scénario peu accessible pour les novices, mais participent dans un même temps à l’immersion totale dans la série. Les personnages parlent de Défense sicilienne, du Gambit du roi ou de la défense de Caro Kann avec une fluidité impressionnante. Nous avons envie d’en savoir plus. En allant, par exemple, chercher les définitions sur Google pour espérer comprendre comment les échecs peuvent rendre ses joueurs aussi passionnés. Après tout ce n’est qu’un jeu non ? Mais la série prouve que c’est bien plus que ça. Comme le dit Beth, c’est un univers dans plusieurs cases.

La série aurait toutefois gagné à avoir un scénario un peu plus rythmé et des épisodes raccourcis. Mais aussi, ils auraient pu creuser un peu plus sur l’enfance de Beth avec sa mère. À la fin de la série, il y a encore plusieurs questions à ce sujet en suspens. Peut-être dans une deuxième saison, qui sait ? La réalisation n’en demeure pas moins maîtrisée, proche d’un film avec une caméra omniprésente captant tous les mouvements des personnages et surtout de la protagoniste. Ce qui est sûr c’est que Le Jeu de la dame donne envie de jouer aux échecs. C’est indéniable.

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