Uniformes et jupon court : Ils ne pensent qu’à ça…

Après Spéciale Première sorti le 16 septembre, Rimini Éditions agrandit sa collection Billy Wilder avec un nouveau titre, disponible en Blu-ray et DVD depuis le 4 novembre dernier : Uniformes et jupon court. Un titre non négligeable et même précieux car il s’agit là de la première réalisation américaine du cinéaste qui s’était contenté d’être scénariste lors de ses premières années d’activité à Hollywood. Mais lassé de voir ses scripts mutilés au gré des caprices du studio et des acteurs (il tiendra d’ailleurs envers Charles Boyer une rancœur tenace, celui-ci ayant fait sauter une scène que Wilder trouvait excellente dans Par la porte d’or, Boyer se retrouvant ensuite au cœur d’une pique féroce dans Uniformes et jupon court), Wilder harcèle la Paramount pour qu’elle lui laisse sa chance en tant que cinéaste, qu’il puisse enfin avoir le contrôle total sur l’un de ses scénarios. Puisque Preston Sturges et John Huston, tous deux scénaristes devenus réalisateurs, l’ont fait, il n’y a pas de raison qu’il n’y parvienne pas ! Conscient que le studio lui laisse diriger un film en anticipant un échec qui le ferait revenir à son poste de scénariste, Wilder est déterminé à faire de son premier essai un succès et se penche donc vers les ressorts d’une pièce de théâtre à adapter pour garantir l’approbation du public.

C’est ainsi que naît Uniformes et jupon court qui contient déjà dans toutes ses grandes largeurs tout ce qui fera le cinéma de Billy Wilder : un goût du travestissement prononcé, des répliques à double sens et une mécanique comique qui n’a pas peur de se réclamer de la tradition la plus classique avec quiproquos et romances contrariées. En effet, le film nous conte l’histoire de Susan Applegate, jeune femme séduisante qui, lassée de la vie new-yorkaise et des regards lubriques que les hommes lui jettent en permanence décide de rentrer chez sa mère en Iowa. Elle avait justement mis de côté l’argent suffisant pour lui payer un billet retour en arrivant à New York. Mais depuis, les tarifs ont augmenté. Susan décide alors de se déguiser et de se faire passer pour une gamine de douze ans afin d’obtenir un voyage en demi-tarif. Contrôlée dans le train, elle ne tarde cependant pas à être poursuivie et elle se réfugie dans le compartiment-lit d’un militaire, le major Kirby. Celui-ci n’y voit que du feu et décide de prendre sous son elle la jeune  »Sou-Sou » comme elle se présente. Suite à un problème de train, il l’emmène passer quelques jours dans l’école militaire où il officie en tant qu’instructeur. Là-bas, Sou-Sou fait fureur auprès des cadets mais Susan est déjà tombée sous le charme du major, pourtant fiancé à la très directive Pamela…

Vous l’aurez compris, il faut une bonne suspension d’incrédulité pour croire une seule seconde que Ginger Rogers, alors âgée de trente ans, parvienne à se faire passer pour une enfant de douze ans sans se faire griller dès les premières secondes. La magie du cinéma opère pourtant, grâce à un Wilder s’avérant déjà fin directeur d’acteurs, tirant le meilleur d’une Ginger Rogers visiblement ravie d’être là (et qui prit un risque à l’époque en jouant ce rôle délicat dans un premier film alors qu’elle venait d’être oscarisée) et sachant rendre cette situation improbable totalement crédible. L’équilibre du film se joue sur deux tableaux : l’acceptation de ce travestissement et la capacité du cinéaste et de son complice scénariste Charles Brackett pour que le film ne tombe pas dans le graveleux. Après tout, on y parle tout de même d’un major tombant amoureux d’une jeune fille ! Et si la jeune fille en question s’avère être une femme, le film nous montre très clairement Kirby (impeccable Ray Milland) sous le charme avant que le déguisement de Susan ne soit révélé. Le scénario a beau laisser quelques pistes ouvertes sur le fait qu’au fond, Kirby puisse se douter que sa Sou-Sou chérie soit une femme, Wilder peut se targuer comme il l’a fait d’avoir réalisé  »le premier film américain traitant clairement de pédophilie ». Une audace dans sa démarche qui fait que l’on se demande encore comment le film a pu passer la censure surtout avec ses répliques remplies de sous-entendus particulièrement savoureux !

Au-delà de ce sujet hautement sulfureux que Wilder traite avec une délicatesse étonnante sans pour autant lui ôter son côté provocateur, Uniformes et jupon court interroge habilement et avec beaucoup d’humour le regard porté sur la femme et critique la lubricité permanente des hommes. En étant elle-même, Susan est constamment séduite, réduite à sa simple condition de femme, les hommes voulant profiter d’elle sans se soucier de son avis, de ses désirs, de ses préoccupations. En tant que Sou-Sou, si elle échappe pour un temps aux regards chargés de désir, les échangeant pour des airs paternalistes, elle n’en demeure pas moins la cible de tous les cadets de l’école militaire, chacun utilisant la même technique de drague basée sur un jargon militaire pour tenter de l’embrasser ! Quoiqu’il arrive, Susan / Sou-Sou ne peut échapper aux désirs et aux regards des hommes et il faudra sa rencontre avec le major Kirby (qui souffre d’un léger problème de vue au niveau d’un œil !) pour qu’elle soit considérée autrement, au-delà du désir.

Avec Uniformes et jupon court, Wilder pose donc les bases de son cinéma avec une gourmandise non dissimulée, le film s’enchaînant au rythme de séquences souvent très drôles, marquées par un tempo comique qui ne faiblit jamais. On ne peut que remercier le public américain de l’époque d’avoir fait du film un succès, permettant à la carrière du cinéaste de décoller, lui permettant de réaliser son ambition et de marquer à jamais l’histoire du cinéma avec quelques classiques indémodables et une filmographie d’une belle richesse à voir et à revoir encore.

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