Basta Capital : « Ok, faisons comme ça »

Basta Capital, disponible dès aujourd’hui en VOD après avoir un temps été prévu pour une sortie salles, est un film qui surgit dans le paysage cinématique français un peu comme un cheveu sur la soupe. On ne s’y attend pas, il sort de nulle part et on se demande bien ce qu’il fait là. Car même si son sujet est particulièrement actuel, on se demande tout de même comment le projet s’est initié. Réalisé par Pierre Zellner, il s’agit du premier film du réalisateur et sort en VOD le 26 novembre. Ce dernier ayant été le premier assistant réalisateur d’un film qui se nomme La Belle Époque, sorti en 2014 et n’ayant rien à voir avec le film de Nicolas Bedos. Après le documentaire choc de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, ainsi que le documentaire de Thomas Picketty sur la société capitaliste, on passe à une fiction (légèrement documentariste) critiquant la politique capitaliste actuelle. Une nouvelle injonction à l’encontre de Macron. On s’éloigne du temps où la présidence n’était que gentiment molestée, notamment dans La Conquête avec Denis Podalydès pour incarner Nicolas Sarkozy au cinéma. Bien que Karl Zéro y soit allé de sa petite moquerie par deux reprises pour le même président, les critiques actuelles deviennent de plus en plus directes, cinglantes et sans filtre. Ici la cible, c’est Macron et ses petits copains, une critique on ne peut plus claire.

C’est souvent dans ce genre de projets qu’il y a le plus à dire et c’est dommage qu’il soit parfois difficile de défendre corps et âme une telle initiative. Malheureusement, on ne peut pas passer outre les très nombreux défauts de cette fiction. Pour résumer assez succinctement, il s’agit d’un groupe de quelques militants anticapitalistes qui décident, après une réunion dans une sorte de hangar réaménagé en habitation rudimentaire, de faire un véritable coup d’éclat (qui se transforme presque en coup d’état) en kidnappant les plus grands patrons du CAC 40. Ceux-ci seront exploités tels des ouvriers moyens de ces grands groupes avec le minimum de confort qu’il leur est octroyé. Ainsi on peut voir l’évolution de leur mentalité au vu de leur situation.

Sur le papier tout le processus est assez passionnant. On peut noter par quelles émotions les otages passent et Basta Capital les amène vers un chemin qui ressemble beaucoup à celui qu’empruntent les employés moyens de leurs entreprises. Notamment lorsqu’ils décident de faire grève, un véritable aveu d’échec donnant raison aux ouvriers moyens qu’ils critiquent tant et esclavasigent de plus en plus. Cependant au milieu de cette prise d’otage improvisée en expérience sociale, sont parsemés de nombreux éléments déroutants et peu convaincants. Par exemple l’idée que Bolloré et toute la clique ne savent pas faire des pâtes. C’est un classique de la critique contre la richesse qui ne sait plus qu’un pain au chocolat ne coûte pas 15 centimes, mais c’est une vanne éculée et désormais un peu ringarde. Si ce n’était qu’une vanne à la limite, on s’en remettrait mais les agresseurs continuent leur petit sarcasme en mentionnant qu’ils n’ont jamais du lire un livre sur le marxisme ou ce genre de choses. Alors que d’un point de vue purement factuel, malgré leur malhonnêteté inconditionnelle, ils restent pour la plupart d’anciens étudiants d’universités prestigieuses et il semble peu probable qu’ils n’aient jamais lu un livre de la sorte.

Dans le même ordre d’idée, nous pouvons noter la référence directe à Orange Mécanique où l’un des otages est forcé à regardé un documentaire, les paupières scotchées pour ouvrir ses yeux et des gouttes pour les lui humidifier. La référence est belle certes, mais complètement inappropriée. Ce qui fonctionnait dans Orange Mécanique relevait de la dissonance entre la musique de Beethoven et les images. C’est la musique qui provoque la supposée rédemption d’Alex DeLarge. Ici, ils ne montrent à l’otage qu’une sorte d’interview, dont il était lui-même l’invité. Cela veut dire que d’une part il a participé à l’interview qui l’incrimine de ses péchés d’homme d’affaires sur ses paradis fiscaux, mais qu’en plus il est parfaitement au courant de ce qu’il a commis. Il a donc conscience des abus de pouvoir et de richesse qu’il commet. À ce titre, la torture qu’il subit ne l’est que pour avoir les yeux forcés d’être ouvert et non pour les images qu’il voit. Cela ternie énormément l’impact de la scène et l’utilisation ici de cette référence. Il aurait été plus judicieux peut-être de les déguiser comme la bande des Droogs lors des photos de groupes. Cela dans le but de les comparer à des criminels ultra violent si l’on voulait absolument inclure une référence à Orange Mécanique. En fin de compte, on le force à regarder des images qui doivent globalement lui faire ni chaud ni froid même s’il les regarde en boucle.

Dans une certaine mesure ça reste intéressant de connaître toutes les saloperies que font Bolloré, Bompard, Ghosn, Bernard Arnault et consorts. Les faits impardonnables de leurs agissements sont toujours plus percutants lorsqu’ils sont dis à voix haute que lus dans divers articles plus ou moins justes concernant les chiffres. Cela relève d’un véritable travail de recherche d’information montrant une prise de position justifiée. Le réalisateur ne s’est pas simplement contenté de pondre une histoire bête et méchante pour satisfaire le gilet jaune en manque de reconnaissance. D’ailleurs la scène du plateau télévisé démontre d’une certaine maîtrise et connaissance du sujet. Malgré des imperfections de jeu, la scène est maîtrisée et convaincante. La preuve est qu’on s’ennuierait presque autant que devant un véritable débat journalistique. Cependant il y a un élément intrigant, c’est l’utilisation de pseudonymes. Jusqu’à maintenant il n’y a eu aucun problème pour citer les noms des grands patrons ou celui du président. Mais subitement pour désigner les intervenants du débat, on peut entendre des pseudonymes rappelant des personnalités existantes et connues du milieu politique en question. Une dénommée Norma Diallo pour ne citer que cette intervenante, faisant référence certainement à Rokhaya Diallo. Les deux autres intervenants se nommant à priori Dominique Luz et Alita Galarneau, dont les références sont bien plus obscures pour des novices en politique. Pourquoi dans ce cas ne pas directement utiliser les vrais noms pour continuer la satire jusqu’au bout, sachant que la présentatrice mentionne clairement leurs orientations politiques ? Si l’on peut aisément combattre les patrons de grands groupes comme une opposition entre les riches et les pauvres, citer des personnalités leur gravitant autour et plus engagés politiquement rendait le discours réellement dissident avec une violente prise de position. Ici la critique reste en demi-teinte car les protagonistes ne glissent pas sur le terrain des oppositions d’idéologies sociales, mais simplement d’idéologies politiques.

Pour finir sur les personnages, certaines intrigues sont clairement superflues. Probablement écrites pour rendre l’histoire générale plus humaine et démontrer qu’à tous les niveaux nous sommes parfois soumis à de véritables dilemmes. Cependant si les acteurs jouant les patrons du CAC 40 se débrouillent bien et crédibilisent leur personnage, c’est plus amateur du côté des instigateurs. Edgar a tendance à surjouer son personnage le rendant assez vite agaçant, mais la palme revient à Inès. Dès l’introduction, le personnage devient antipathique et cette sensation est quintuplée vers la fin, au point de devenir un personnage absolument insupportable. Le problème est en grande partie dû à une relation amoureuse entre les deux totalement inutile et inexploitée. L’exercice n’est clairement pas simple, car les dialogues n’étaient peut-être pas si facile à retenir et trouver la bonne intonation est un exercice bien plus compliqué qu’on ne le pense. Il résulte tout de même un fort agacement de certaines relations et caractères des personnages. Pour d’autres comme Francesca, ou plus secondaires, comme Genjo ou Archie, on se prend plus facilement d’attachement. La situation pour ces protagonistes est clairement compliquée et ils ont une situation très particulière à gérer, mais cela n’excuse pas leur comportement parfois totalement contraire à leurs idéaux. Le spectateur n’arrive alors plus à s’identifier à eux et à suivre leurs intentions.

Il faut admettre que l’histoire n’aide pas totalement à ce niveau là puisqu’on assiste progressivement à un genre qui tend de plus en plus vers de la science fiction, et même de l’anticipation. Dans un premier temps par les aléas auxquels nos kidnappeurs finissent par être soumis puis dans les déductions de plus en plus hasardeuses et osées de ce que l’avenir pourrait être si un tel événement venait à se produire. La conclusion de ce long-métrage jure complètement avec son genre initiale. C’est plutôt une bonne idée dans la mesure où surprendre son spectateur de la sorte provoque un véritable impact émotionnel. Cependant, la surprise est tellement brute et radicale qu’il est difficile de l’accepter sans broncher. Les différents évènements résultent de tant d’inconnues et de tant d’observations sur des décennies qu’il est impossible de les accepter aussi sincèrement sans broncher. On se retrouve à vouloir débattre et opposer des idées à cette conclusion hâtive, objectif recherché du réalisateurs, mais un peu frustrant dans un cadre de visionnage en VOD où le débat d’après-séance ne sera probablement pas aussi stimulant. D’autant plus lorsque le point final qui vient sonner le glas de cette production est aussi nihiliste, pessimiste et déceptif. Si l’idée qu’un tel chantage sur les plus grosses fortunes du monde ait plus de répercussions qu’on ne le pense est intéressant, c’est triste d’en conclure que la malhonnêteté de ces gens et l’écart des richesses soit une bonne chose car ce serait pire le cas contraire. Au final ce qui commence comme un discours dissident finit presque comme un discours propagandiste.

Malgré un indéniable amateurisme, il y a un conséquent travail de recherche d’informations et un véritable effort fourni dans l’orchestration de certaines scènes. De plus, pour un premier long-métrage, on note l’intention et l’aplomb de proposer le kidnapping des plus gros patrons du CAC 40. En termes de proposition dissidente, ça se pose quand même là. La surenchère de petites moqueries plombe complètement l’intention première du film et propose un effet comique discutable. Le message sous-jacent de Basta Capital est noyé par un amoncellement d’erreurs et d’indécisions parasitant la clarté des intentions. Pour autant, l’histoire va jusqu’au bout de ses intentions avec une information complète et claire. Dommage que quelques personnages gâchent le plaisir de visionnage mais la tentative et la propositions pallient nettement à ces légers défauts auxquels on peut passer outre.

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