Borat, le film d’après … : Fin de cycle pour Baron Cohen

On voudrait éviter de vous refaire le coup à chaque fois qu’un film voulu comme transgressif point le bout de son nez, mais difficile de ne pas mettre ce type de geste en parallèle avec le monde horriblement normé dans lequel on vit actuellement. Oui, chaque geste de Sacha Baron Cohen, éternel trublion devant l’éternel, est scruté avec intérêt et jubilation tant le monde a besoin, plus que jamais, d’empêcheurs de tourner en rond, mettant chaque spectateur face à ses propres responsabilités concernant des sujets habituellement tenus à l’écart bien poliment, des fois que l’on serait forcés à réfléchir sur nous-mêmes ou les gens qui nous dirigent. Ceci étant dit, forcément, voir débarquer en cette magnifique année 2020 une suite conçue visiblement à la hâte à l’incroyable Borat, sonnait comme un symbole fort, entre les élections approchant à grands pas aux États Unis, et l’épidémie de Covid-19 dont nos chers gouvernants veulent faire la plus grosse catastrophe de l’Histoire moderne, il y avait fort à faire pour notre adoré journaliste Kazakh, dont la candeur et la vision toute personnelle de l’humanité avaient fortement manqué à cette même humanité, semblant perdue depuis un bon moment. Mais ce besoin vital de prendre notre dose de mauvais goût intelligent, pour nous laver l’esprit de la bien-pensance habituelle, ne devrait pas non plus nous empêcher de prendre le film objectivement, et de tenter de décrypter le plus honnêtement possible la façon dont il a semble-t-il été conçu. Car ce qui pouvait fonctionner il y a 14 ans, s’avère forcément plus compliqué à faire avaler maintenant que le dispositif est éventé. Dans un premier temps, l’acteur en fera d’ailleurs la problématique principale, à savoir comment passer inaperçu alors qu’il est accueilli comme une star dès son arrivée aux États Unis ? Si les gens reconnaissent désormais Borat, il s’agira d’aller encore plus loin dans le grimage pour rester incognito et faire passer ses pièges énormes au plus grand nombre.

Le film débute alors que notre cher Borat est la risée de son village. Le premier film ayant ridiculisé la fière nation du Kazakhstan, il a été mis au ban de la société, se voyant même renié par la chair de sa chair, ses fils adorés. Reste sa fille, élevée dans une cage (littéralement), volontaire pour le suivre lors de nouvelles pérégrinations aux États Unis. Et cela tombe bien, son gouvernement lui offre une chance de survie en retournant racheter ses fautes, afin d’y offrir en offrande au vice président de Donald Trump cette fille très volontaire . Et c’est ainsi que l’ignorant Borat se retrouve à nouveau à fouler le sol des États Unis d’Amérique, cette Terre de tous les possibles, y compris pour un imbécile dont le devoir premier sera de servir de révélateur à un certain état d’esprit yankee. Du moins c’était la base de la démarche de Sacha Baron Cohen depuis ses premiers méfaits. Seulement comment rester pertinent dans un monde ayant changé, et surtout en pratiquant un humour n’ayant quant à lui, pas bougé d’un iota depuis ses débuts ? Certes, le contexte électoral, ainsi que sanitaire, offrait un large champ des possibles au comique sans limites, mais il semble pourtant rapidement évident que malgré les saillies hilarantes toujours présentes tout au long du film, la démarche s’avérera un peu plus problématique ici.

Comme dit plus haut, la base du travail de Baron Cohen a toujours été de se mettre dans la peau de personnages symbolisant certains maux de nos sociétés, dont il grossissait bien entendu les traits afin d’obtenir de purs personnages de fiction, qu’il plaçait au milieu de vrais gens afin d’agir comme catalyseurs d’idées pas spécialement jolies de la part du petit peuple. Car bien entendu, en tant que britannique pratiquant l’humour (très) politiquement incorrect, rien de tel que de taper sur ceux que l’on qualifierait très péjorativement de bouseux, à savoir dans le cas présent, les électeurs principaux de MacDonald Trump, comme le désigne génialement Borat. Cela fonctionnait du tonnerre jusqu’à maintenant car sa méthode était suffisamment jusqu’au-boutiste et inédite pour réussir à piéger ses proies. Mais qu’en est-il aujourd’hui, à une époque où la notion de caméra cachée est connue de tous, et où les personnages de Baron Cohen sont bien identifiés ? Le film se retrouve donc avec une problématique réelle, de devoir renouveler son principe de base, sans quoi il semblerait difficile d’arriver à ses fins.

Et c’est bien là que réside le souci principal de cette suite, semblant avoir été conçue de manière un brin opportuniste, sans réel fil conducteur. On se retrouve bien souvent à questionner la démarche, tant les situations semblent énormes. Et surtout, dans certains cas, la multiplicité des angles de prise de vue semble aller à l’encontre du principe de caméra cachée. Certaines « vraies » personnes semblent donc à l’évidence être des acteurs jouant une situation donnée, ou en tout cas des gens sachant très bien dans quoi ils sont tombés et jouant le jeu généreusement. Difficile de croire à ces scènes avec la « nounou », encore moins à ces deux texans pur jus hébergeant notre journaliste arriéré en plein confinement. A ce dispositif parfois malhonnête, dont les scènes pseudo prises sur le vif s’intègrent laborieusement à des moments purement fictionnels franchement à côté de la plaque, s’ajoute cette fois une autre problématique, à savoir la quasi impossibilité de Baron Cohen à se montrer réellement pertinent face aux situations sanitaire et politique.

Au-delà des véritables pièges ne laissant aucun doute, desquels surgissent de purs moments de génie, justement lorsqu’il fait ce pour quoi il est le plus doué, à savoir servir de révélateur aux idées profondes des personnes auxquelles il fait face, il est difficile de savoir quel est le véritable moteur du projet. Abordant maladroitement les sujets agitant la société moderne, à commencer par le féminisme, il ne semble pas très à l’aise avec ce type de problématique allant bien au-delà de son domaine de compétences, comme si le trublion sans limites avait soudain peur de son propre potentiel de transgression. Les provocations semblent cette fois un peu gratuites, et sa méthode finit par en devenir douteuse lorsqu’il se trompe purement de cible. Il en est ainsi de la scène de la synagogue, certes hilarante sur le moment par l’inconscience dont fait preuve Baron Cohen, mais dont on a du mal à en voir le sens à partir du moment où il ne s’attaque plus au citoyen lambda aux idées nauséeuses, et se retrouve face à deux dames d’une bonté d’âme dont il ne peut ressortir aucun discours subversif. Au-delà de la gêne provoquée dans un premier temps par la situation dans laquelle il se met, la situation ne débouche sur rien.

Et il en est de même du piège final, alternant entre une fausse interview dont on questionne là encore la mise en place, tant l’utilisation de plans rapprochés finit par mettre le doute sur le principe de caméra cachée, et un final ayant à l’évidence pris de court la personne qui en est la cible, obligeant du même coup Baron Cohen et sa partenaire de jeu à fuir les lieux rapidement, ce qui empêche la situation de se déployer sur la durée.

Au final, hormis de purs moments jouissifs dans la pure lignée de ses travaux précédents (la chanson country), où les gens se prennent au jeu (sans en avoir conscience bien entendu) de façon fortement inquiétante, le nouveau cri de Sacha Baron Cohen aura eu du mal à résonner, ressemblant plus à un pétard mouillé qu’au grand tract subversif espéré. Certes, on ne voit bien que lui actuellement pour se mettre dans pareilles situations, parfois dangereuses ou avançant moralement sur des chemins fortement minés (la scène avec le pasteur est à ce titre la plus intelligente, créant un quiproquo au détriment évidemment du pasteur, agissant là comme révélateur de la bêtise ultime), mais il aura cette fois-ci eu du mal à aller au-delà de son dispositif de base, et à se montrer pertinent par rapport à ce qui agite le monde de 2020. Conçu trop vite, contestable dans sa fabrication et son concept de caméra cachée, il s’embourbe au final dans ses micro provocations, et ne semble plus capable de choquer grand monde, à part peut-être les gens n’ayant jamais vu un film avec lui précédemment. Et ce n’est pas la petite réflexion finale sur les féministes, semblant finalement brosser les intéressées dans le sens du poil, sans aucune notion de transgression réelle, qui nous fera changer d’avis. De poil à gratter faisant grincer des dents, Baron Cohen s’est transformé en moraliste caché derrière des couches de mauvais goût contrôlé. Dommage !

1 Rétrolien / Ping

  1. American Vandal : Autopsie d'un mockumentaire -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*