Michel-Ange : L’émarbrement du monde

Présenté à la séance de clôture de la rétrospective intégrale consacrée à son œuvre le soir du 12 octobre 2020, Michel-Ange de l’insaisissable Andreï Konchalovsky n’est en aucune façon un biopic, en tous cas pas au sens communément accepté du terme : moins une manière de relater le parcours du célèbre peintre et sculpteur de la Renaissance italienne à des fins décoratives et informatives qu’un moyen de partir des pures questions de forme et de modalité cinématographiques pour mieux dépasser ledit Sujet, Michel-Ange est avant tout un authentique morceau de Septième Art, objet haptique et sensoriel plaçant la figure titulaire dans son milieu naturel. Suivant un étrange, nébuleux et inquiétant Paradis dans la filmographie de son auteur, Michel-Ange – autrement nommé Le Péché recadre l’artiste originaire de Toscane à un moment précis de son existence, préférant exposer avec rigueur et intelligence une situation donnée plutôt que de s’aventurer vainement et superficiellement dans les méandres du storytelling commercial et prémâché. Ainsi, Andreï Konchalovsky évite tous les écueils et les passages obligés de la biography picture traditionnelle et convenue (brassage des moments déterminants de la vie du Sujet allant de sa naissance à sa mort, de ses succès à ses déconvenues, de son ascension à sa chute, etc…), livrant un portrait intimiste dudit Michelangelo Buonarroti : l’homme avant son Œuvre et l’intériorité du maître au-devant des apparences – in fine.

La situation, particulièrement densifiée par Konchalovsky, est la suivante : montrer à juste hauteur l’artiste toscan en plein dilemme moral, ce dernier se trouvant littéralement tiraillé entre les attentes de deux familles commanditaires rivales (les Médicis de Florence d’une part, les Della Rovere du Piémont d’autre part), toutes deux susceptibles d’assurer sa reconnaissance et sa prospérité sociales en contrepartie d’un ouvrage de premier choix (respectivement la façade d’une basilique pour le Pape Léon X et un tombeau marmoréen pour l’inhumation du Pape Jules II). Coupable des péchés d’arrogance et de cupidité, l’artiste sera présenté dans toute sa complexité par le cinéaste russe, ce dernier livrant un bloc filmique à la fois peu évident dans sa façon d’être appréhendé par le spectateur car austère et moderne dans le même mouvement d’authenticité.

Exigent, peu sympathique de prime abord, mais résolument singulier, Michel-Ange est un film-portrait peuplé d’images natives pour le moins marquantes, qui tiennent leur beauté des splendeurs re-naissantes. Comme un éventuel chef d’œuvre de capacité d’action la séquence du transport du fameux bloc de marbre – occupant une place centrale dans ledit métrage – est significative ; il faut se rappeler le Andreï Roublev de Tarkovsky tourné plus de cinquante ans plus tôt, film-fleuve pour lequel Konchalovsky a co-écrit le scénario : la scène emblématique de la fabrication d’une cloche canonique renvoie logiquement au déplacement pénible et laborieux de la masse immaculée de Michel-Ange ; à l’instar de son ami et partenaire de travail issu de la même école de cinéma que lui (le VGIK de Moscou), Andreï Konchalovsky filme la situation cruciale de l’artiste créateur comme un véritable acte de foi, légitimant en cette occasion le rigorisme des cadrages et de la mise en scène.

D’autre part le réalisateur témoigne de ses élans de modernité en réinventant de manière fascinante la syntaxe cinématographique, mettant un point d’honneur à réfuter l’invisibilité du montage et la continuité narrative intrinsèques aux conventions artistiques. Ainsi dans Michel-Ange, le passage d’un plan au suivant, d’une image à l’autre, s’avère davantage affaire de coupe franche qu’affaire de raccord consensuel, Andreï Konchalovsky optant pour la dualité dissociative propre à son Sujet et rechignant à développer les tenants et aboutissants moribonds d’une certaine forme de production publicitaire et sans attraits, celle du biopic au charme fort peu indiscret, quelconque et impersonnel, aux confins du brouillage visuel. Tranché, radical et novateur, le Michel-Ange de Konchalovsky demeure une belle promesse de cinéma, dynamitant la structure narrative pour mieux placer ses figures dans un petit monument de relief. Un Art qui – certes – peu éventuellement déconcerter voire ennuyer sur la longueur, mais qui portera ses fruits charnus et gourmands aux cinéphiles les plus méritants. Superbe.

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