Last words : Avant que nous disparaissions

Comment laisser une trace, quelle qu’elle soit, voilà la grande question de l’être humain depuis l’aube de l’Humanité. Seule créature vivante à avoir conscience de sa propre mortalité, son essence même semble avoir toujours été d’accomplir des choses plus ou moins grandes afin d’avoir cette sensation apaisante que tout ceci n’aura pas servi à rien. Mais lorsque sonnera la fin programmée à court terme de toute trace de notre existence, à trop avoir tiré jusqu’à la moelle de ce que cette belle planète avait à nous offrir, que restera-t-il comme espoir de laisser notre marque ? La réponse du réalisateur Jonathan Nossiter se trouve être un acte de foi envers le cinéma, et le monde qu’il nous présente dans son dernier film, labellisé Cannes 2020, est bel et bien ce monde déjà mort, n’ayant laissé qu’une petite poignée de survivants s’étant retrouvés à Athènes, vivant en communauté, avant que ne naisse un infime espoir avec l’arrivée de deux personnes amenant avec elles le dernier symbole de notre créativité, à savoir le dernier projecteur encore fonctionnel et les dernières pièces qui leur permettraient de fabriquer l’ultime caméra qui leur servirait à filmer leur vie avant le chaos définitif, fin dores et déjà programmée de notre civilisation. Il y avait là un beau projet, c’était le cœur du film, qu’en est-il au final ?

Le film débute en adoptant d’emblée le point de vue de celui qui restera le personnage principal, par qui l’identification passera, un jeune homme de 16 ans, dernier Africain sur Terre alors que ce continent a déjà été englouti tout entier dans les eaux. Errant seul dans les ruines de Paris suite à la mort de sa sœur, il traverse l’Europe et arrive en Italie, à Bologne, y faisant la rencontre d’un vieux Monsieur appelé Shakespeare, survivant dans les sous sols de la Cinémathèque. Là, le jeune homme va y découvrir le pouvoir du cinéma, cet Art regroupant tous les Arts, et permettant un regard sur l’évolution au fil du temps de notre Humanité, dernier souvenir de celle-ci là où il ne reste que des ruines. A travers les images de films de toutes sortes (de Buster Keaton à Terry Jones en passant par un Tarzan, et on en passe), la magie renaît un temps et l’espoir est à nouveau permis. L’idée est symboliquement forte, vectrice de poésie et d’une plénitude qui trancherait avec la représentation habituelle de la fin du Monde au cinéma, soit prétexte à du chaos bruyant pour Hollywood, soit à drames morbides où l’inéluctabilité de cette fin entraîne angoisses existentielles déchirantes (comme chez Lars von Trier dans son sublime tout autant que déprimant Melancholia). Malheureusement, passée cette introduction où le style documentaire n’empêche nullement les plans de désolation assez saisissants, et où la rencontre avec ce vieux Monsieur incarné par un Nick Nolte toujours aussi intense provoque de vrais plaisirs de cinéma, le réalisateur va s’embourber dans un récit particulièrement filandreux et laborieux, dès lors qu’ils arriveront à Athènes, rejoignant ce petit microcosme aux individualités entraînant des « intrigues » pour le moins déroutantes.

Difficile de déterminer à quel moment exactement on commence à perdre de vue l’essence du film, mais il semblerait que Nossiter ait fait deux erreurs fondamentales, à savoir oublier la simplicité du début pour se perdre dans des couches d’idées inopérantes, et ensuite sembler malgré tout se reposer uniquement sur cette idée unique du cinéma comme ultime espoir de laisser une trace, avec comme but ultime, donc, de réaliser ce fameux film qui représenterait la vie des derniers êtres humains avant l’extinction. Ce qui en soit pourrait nous suffire si le montage général en avait été plus resserré, nous épargnant ces évènements sans doute voulus comme symboliques et appartenant au registre de la fable, mais dont le sens général nous échappe. Que dire de cette drôle d’idée de représenter Charlotte Rampling comme une violeuse de chaire fraîche devenant l’ultime ventre fécond sur Terre ? Déjà sur le papier, cela paraît incongru, mais à l’écran, sans volonté claire de décalage, le premier degré général finit par créer une certaine gêne. Idem pour cette incohérence flagrante, concernant les souvenirs du personnage de Nick Nolte, parlant des 60’s et ses communautés hipppies, ou d’un concert des Sex Pistols de 1978 s’étant fini dans le vomi. Le film se déroulant en 2086, quel âge est-il censé avoir ? Jamais rien ne va dans le sens de l’absurdité, tout reste très terre-à-terre, et face à de tels choix scénaristiques, on finit par avoir cette impression d’euro-pudding improbable comme on en voit de temps à autre.

Il semblerait que le sens général ait finit par échapper au réalisateur qui donne l’impression de n’avoir pas eu le courage de se contenter de son beau sujet, comme s’il avait à tout prix voulu en rajouter. Le film a apparemment été développé au long cours, en parallèle d’une activité d’agriculteur. Il lui aura donc fallu six années de travail pour en venir à bout, et cette longue gestation pèse au final assez lourd sur le résultat, donnant l’impression d’un film se faisant un peu à la façon d’un work in progress, avec un montage parfois déstabilisant. Sans parler de ces micro provocations, que ce soit ce récit raconté par un personnage sur la mort de son frère, là comme pour aborder tous les thèmes possibles concernant la fin du monde, mais ne débouchant sur rien de constructif, ou bien ces plans sexuels complaisants, plus malsains qu’autre chose, alors que la volonté sous-jacente semblait être à l’évidence de filmer les dernières tentatives de plaisirs terriens que ces personnages peuvent s’octroyer, en toute simplicité.

Il aurait été plus satisfaisant de se concentrer uniquement sur ce plaisir à être ensemble devant un film, car dans ces moments rares et fulgurants, le plaisir est réel, et le metteur en scène parvient à rendre compte merveilleusement du pouvoir toujours intact de ce medium sur tout un chacun, de cette magie consistant à immortaliser des histoires, et donc des êtres humains, sur un bout de celluloid. Et forcément, à l’aune de la crise sanitaire que nous traversons en ce moment, c’est un drôle de hasard que ce film écrit il y a plusieurs années nous parvienne cette année, à l’heure où l’on nous bassine avec l’idée de distanciation sociale, allant à l’encontre de ce que prône le film, à savoir rester proches les uns des autres, exulter ensemble en accueillant avec philosophie notre propre fin, pour savourer du mieux possible tout ce qu’il nous reste.

Il y a donc un beau film qui se cache au milieu de cette interminable chose, provoquant pas mal d’embarras, mais dont nous préféreront retenir ces instants de magie rares mais précieux, portés par un casting hétéroclite, allant de Nick Nolte à Stellan Skarsgård, en passant par Alba Rohrwacher et ce nouveau venu incarné par un réfugié gambien particulièrement charismatique, Kalipha Touray. Si cette prestation touchante et incarnée pouvait ne pas rester unique, ce film n’aura donc pas été totalement vain.

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