Le Corbeau : Tortures, Folie et Poésie

Nouveau venu dans la collection Cinema Master Class chez Elephant Films, Le Corbeau est l’un des films les plus notables de Lew Landers, pour ne pas dire le seul. Très librement inspiré du poème éponyme d’Edgar Allan Poe, il met en scène deux des figures les plus emblématiques des studios Universal de l’époque, Boris Karloff et Béla Lugosi. Sorti en 1935, en pleine période des classics monsters de la Universal, le film tombe à point nommé au plus fort de la carrière des deux acteurs. Petite parenthèse horrifique un peu à part parmi les classiques baroques de la firme (quoi que, l’ambiance finale s’en rapproche quelque peu), Le Corbeau est un petit film (61 minutes à peine) qui n’a rien perdu ni en force ni en intérêt.

Le docteur Vollin, chirurgien de renom et admirateur d’Edgar Allan Poe, collectionne les instruments de torture dans une cave secrète de sa résidence. Il s’éprend de la jolie Jean Thatcher, la femme qu’il a sauvée à la suite d’un accident. Repoussé par la famille de celle-ci, il défigure le criminel Edmond Bateman pour en faire l’instrument de sa vengeance.

Quel chef d’œuvre ! Quelle merveille ! Le Corbeau est un film d’horreur qui n’a rien perdu de son aura. L’avantage de sa courte durée lui permet d’aller directement à l’essentiel. On ne se perd pas dans diverses élucubrations. Tout est fluide et coule de source. Il faut dire que le texte original de Poe n’offre pas de quoi en faire un film très long, bien qu’il ne partage que quelques clins d’yeux avec le poème du maître du fantastique. Le film est, en vérité, un hommage à l’œuvre globale de Poe. Le personnage de Lugosi est un admirateur extrême de l’auteur. Il ne vit que pour les écrits de Poe, au point d’en devenir fou à lier. Il voit en Jean Thatcher la fameuse Lenore que le poète appelle en vain dans le texte original. Afin de mettre la main sur le cœur de la belle, il sombrera dans une folie vengeresse, transformant le sous-sol de sa demeure en salle emplit d’objets de torture inspirés des écrits de l’auteur qu’il admire. Quiconque osera se mettre entre lui et son désire de posséder la belle en subira les conséquence. Conscient de sa folie, il la nourrit en défigurant un criminel venu lui demander de l’aide. Il lui promet de lui rendre son visage à la condition qu’il l’aide à se débarrasser du père et du fiancé de Jean. Et il faut bien avouer que personne d’autre que Boris Karloff ne pouvait jouer ce pauvre homme réduit à la condition d’esclave. Pas si éloigné de la créature de Frankenstein (qu’il campait en 1931 dans le film de James Whale), il offre à Bateman une attitude misérable. On s’éprend d’emblée de sa condition, même si l’on a conscience qu’il n’est pas un homme au passé tout rose. Lugosi le défigure de manière vicieuse, sans once de remord. Et au jeu du sadique, Lugosi est un maître qu’on ne présente plus. Sa posture rigide et imposante, son phrasé qui se délecte de rouler les R comme personne et ses yeux assassins en font, définitivement, un grand parmi les grands.

On regrettera une réalisation un peu terne. Avec un univers qui s’inspire d’Edgar Allan Poe, nous trouvons fort dommage que Lew Landers ne joue pas la carte du baroque à fond. Même s’il y aura des inserts sur un orage qui s’abat sur la demeure du méchant en fin de métrage (qui rappelle l’univers du poème éponyme), il y aura très peu d’éléments nous rapprochant avec l’univers visuel de l’auteur. Le montage et la mise en scène sont, on ne peut plus, classique. Rien de bien affriolant à se mettre sous la dent. Bien évidemment, ce ne sont que des détails à l’échelle de la force scénaristique du film et des talents à l’écran. Si le duo de tête est irréprochable, il en va de même pour les autres partenaires de jeu. Tous les acteurs sont appliqués et très convaincants. La vraie originalité du film surviendra lors du dernier acte. La construction des machines de torture imaginées par Poe prennent vie pour notre plus grand plaisir. Des instruments qui ont inspirés la culture bis de ces dernières années puisqu’on les retrouvera dans des sagas comme Saw (le fameux pendule qui descend peu à peu sur sa victime, la pièce où les murs se referment petit à petit sur les protagonistes…). Lew Landers a cette propension à savoir magnifier la folie qui s’empare de Lugosi. Il faut dire que l’acteur le joue à la perfection qu’il serait difficile de ne pas savoir le cadrer bien comme il faut. Le Corbeau est comme une immense attraction, une vraie maison hantée de laquelle on en sortira plus que satisfait, avec l’envie d’y revenir rapidement.

Le Corbeau est à l’image de la réputation de ses deux têtes d’affiche : qualitatif à souhait. On passe un moment digne des plus grands films de la Universal de l’époque. Éloge à l’œuvre d’Edgar Allan Poe, il y a fort à parier qu’il donnera envie aux néophytes de se plonger dans les superbes écrits du romancier. Avouons qu’avoir envie de lire du Poe grâce à Karloff et Lugosi, c’est quand même plutôt classe ! Le film est disponible à l’achat dans une édition de très bonne facture disponible chez Elephant Films. Allez-y, c’est du très très bon !

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