La Mort Prend des Vacances : Là où il y a de la vie…

Costumier de renom ayant travaillé sur des films devenus cultes comme Cléopâtre de Cecil B. DeMille, Robin des Bois d’Allan Dwan ou encore Rosita d’Ernst Lubitsch, Mitchell Leisen est passé derrière la caméra lors de la seconde partie de sa carrière, au début des années 30. La Mort Prend Des Vacances est son troisième long-métrage et sort en 1934. Adapté de la pièce de théâtre d’Alberto Casella, La Morte in Vacanza, il sera source d’inspiration pour Martin Brest lorsqu’il réalisera Rencontre Avec Joe Black en 1998. Film romantique aux saveurs fantastiques et philosophiques, La Mort Prend des Vacances est un film étonnant et d’une beauté absolue.

Se demandant pourquoi les gens la craignent, la mort décide de se joindre à eux pendant trois jours, espérant ainsi trouver une réponse. Sous les traits du prince Sirki, il se présente comme l’hôte du duc Lambert, auquel il a préalablement révélé sa véritable identité et son dessein. Mais son plan est contrarié lorsqu’il tombe amoureux de la jeune Grazia, fiancée à Corrado, le fils du duc.

Succès immense à Broadway, la pièce de théâtre adaptée elle-même d’une pièce italienne a été la source première d’inspiration pour La Mort Prend des Vacances. Le film situe son action en Italie, mais possède une aura terriblement américaine. Les acteurs ne jouent pas à l’italienne, et on le ressent fortement. Soucieux de ramener son histoire vers le support d’origine, Mitchell Leisen fait dérouler la majeur partie de son récit en huis-clos au sein de la villa où se rendent les personnages. Seulement, la réalisation et la mise en scène évitent soigneusement de ne présenter qu’un simple film dans un style « théâtre filmé ». La grandiloquence des décors, le raffinement caché dans chaque détails, le jeu perpétuel sur la profondeur de champ…tout s’éloigne de la facilité. Leisen maîtrise sa réalisation au cordeau. Il y a une vraie envie de cinéma. L’apparition de la mort fait écho à la rhétorique fantastique du scénario et doit beaucoup à l’expressionnisme allemand des années 20. C’est d’une beauté remarquable. L’entrée en scène de la mort est à tomber par terre. Une fois encore, les détails cachés dans les décors sont soignés à la perfection. Le début du film s’inscrit parfaitement dans la mouvance des films fantastiques qui étaient légions à l’époque à Hollywood. De quoi convaincre les plus réfractaires aux comédies sentimentales de tenter l’aventure.

Mais le film ne se contente pas de maîtriser à la perfection son aspect fantasmagorique. Une fois le personnage de la mort installé, le film lui donne du corps, de la psychologie et peut, ainsi, amorcer délicatement sa bascule vers son genre prédominant : la comédie de mœurs sur fond de problèmes sociétaux et affectifs. La mort qui essaie de maîtriser les codes de la haute bourgeoisie et qui essaie de décrypter ce qu’est le sentiment amoureux rend le film plus qu’intéressant. Les échanges entre la mort et les protagonistes un peu plus âgés sont délectables. Il pousse ses interlocuteurs à se questionner sur le sens de la vie, il les amène à réfléchir sur ce qu’il y a après. Tout un aspect métaphysique qui est rendu crédible par le fait que seule la mort elle-même connaît les réponses. Le film nous montre également que même si une personne connaît les réponses, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle les comprend. Il y a un fond très intéressant qui se dégage de La Mort Prend des Vacances, un fond qui peut être sujet à de vives discussions autour d’un verre. Car, au-delà du divertissement que le film représente, il y a un vrai appel à l’éveil des consciences. La Mort Prend des Vacances nous invite à nous installer en compagnie de ses acteurs et de participer aux débats qu’il soulève.

Pour en revenir sur le côté délectable des échanges avec la mort, le film est parsemé de répliques cinglantes à l’humour noir très appuyé. À l’image du personnage qui évoque un homme se jetant de la Tour Eiffel et se relevant intact. Histoire à laquelle la mort réplique que ce pauvre garçon devait être triste et qu’il ferait mieux de s’en occuper. Et d’ajouter, pour ne pas passer pour un fou, qu’il s’en occuperait en lui écrivant une lettre afin de combler la solitude évidente dans laquelle vit cet homme. Oui, car la mort a bel et bien pris des vacances, ce qui fait que le monde reste en proie à certaines catastrophes, mais tout le monde en sort miraculeusement vivant. Fredric March, qui incarne la mort, possède un prisme de jeu tout à fait bluffant. Toujours avec un flegme mordant, il assène ses répliques avec une dextérité qui fait mouche à chaque fois. Très expressif dans son regard (sûrement encore un héritage de l’expressionisme allemand), il offre à chaque fois l’intensité nécessaire à la scène qu’il joue. C’est un sacré numéro d’acteur, tout à fait bluffant. Mention spéciale à son ironisme mordant lors de la séquence au champs de course.

Mais là où le film étonne définitivement se trouve lors de l’épilogue. Les vingts dernières minutes du film basculent vers une idée de l’au-delà, conclusion inéluctable compte-tenu des enjeux du récit. La mort doit retourner à ses affaires et Mitchell Leisen met en scène le retour à la réalité avec grâce et poésie. Il nourrit l’idée que l’amour ne va pas sans la mort. En personnifiant l’idée de la mort (à comprendre, la fin de la vie) au travers un personnage bien réel, il invite le spectateur à reconsidérer ce phénomène inexplicable. Et si le moteur de la vie (qui est ici l’amour) donnait un sens à la mort ? Question philosophique très intéressante qui donne envie de se replonger dans le film sitôt terminé.

La Mort Prend des Vacances est un film à la poésie incroyable. La mise en scène se sépare de tous les artifices théâtraux du matériau d’origine pour nous livrer un joli conte drôle, vivifiant et plein d’espoir. L’aspect le plus sinistre de la vie devient beau, on en sort avec l’envie de tout vivre avec passion. Un très joli film disponible dans la collection Cinema Master Class chez Elephant Films dans une édition Blu-Ray à la restauration très propre.

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