La Première Marche : C’est toujours la plus difficile à franchir.

Pour les réalisateurs Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray, La Première Marche n’est pas seulement le titre de leur documentaire puisqu’il s’agit également d’une métaphore de leur entrée dans le cinéma. Avec ce documentaire, ils souhaitent mettre en exergue cette marche des fiertés s’étant déroulée à Saint-Denis, en Seine Saint Denis, a l’été 2019. Il faut dire que cette ville est souvent raillée comme étant une ville homophobe, dangereuse, sexiste et certainement bien d’autres adjectifs peu glorieux. Une ville mal famée en somme. En prenant leur caméra, les réalisateurs de La Première Marche suivent une poignée d’étudiants, instigateurs de cette manifestation emplie d’idéologies pour toutes les communautés LGBTECO+. On suit tout leur parcours créatif de mise en place de cette marche jusqu’à l’événement en direct.

Si on est tous d’accord pour admettre que l’homophobie est une idiotie par essence, faut-il pour autant que tous les gays soient des folles à l’image de Youssef et d’autres intervenants du documentaire ? Revendiquer son orientation sexuelle est une chose, mais le faire transparaître à ce point par son exubérance en est une autre. Ça ne se voit pas sur nos tronches la plupart du temps que nous sommes hétéros, alors pourquoi systématiquement extérioriser de la sorte une orientation sexuelle différente ? Il faut comprendre que jouer la folle de cette manière ne peut définitivement pas plaire à tout le monde, même si c’est leur manière d’exalter leur émancipation sexuelle et leur sentiment de liberté et de joie. « Laissez les hétéros tirer des gueules de six pieds de long si ça leur chante bon Dieu. »
Plus sérieusement, il faut admettre que Youssef est très vite insupportable à suivre, en partie à cause de cela. Il est pourtant intelligent et très attaché à la condition sociale de son identité de genre. Et son engagement est à la fois fédérateur et intéressant, mais son léger côté méprisant et « je sais tout » le rend presque exécrable par moment. Son franc parler est intéressant dans une prise de parole publique ou dans des débats, sa grande gueule est une force pour briser les codes d’une discussion. Cependant, quand il devient trop direct avec ses amis ou des personnes qui semblent vouloir le soutenir, même maladroitement, son caractère le rend trop vite antipathique.

Sur ce point, il y a d’autres intervenants qui ont une place étrange dans ce documentaire. À commencer par Aurélien, on se demande vraiment l’intérêt de son intervention. Il vient simplement pour voir si ça ne va pas dégénérer, la remise de prix lui en touche une sans faire bouger l’autre, il n’a pas vraiment l’air de connaître les termes de la communauté plus que ça, et quand il s’en va, il n’encourage même pas vraiment le collectif des étudiants. Il voulait juste passer devant la caméra ? Ou voulait-il simplement récupérer tous les macarons de la réception ? Quel intérêt morbide tout de même de ne participer à une remise de récompenses pour la communauté LGBT uniquement dans le but d’espérer que ça parte en vrille. Il y a aussi l’intervention du présentateur d’Europe 1 lorsque Yanis lui répond que ce qu’il dit n’est pas très bienveillant. On comprend vite le désarroi total qu’extériorise l’étudiant après que le présentateur lui ai répondu que si, ça l’était bien. C’est tout de même dingue d’annihiler à ce point les propos d’un intervenant que l’on a soi-même invité sur son plateau de radio. Qui est-il pour décréter que ce qu’il dit est, ou n’est pas, bienveillant ? Sa volonté est bienveillante, peut-être, mais c’est son interlocuteur qui lui dira si ça l’est réellement, si toutefois il lui accorde la parole. Bref, l’une des difficultés principales vis-à-vis des communautés LGBT est précisément ce manque de discours, de dialogue, et c’est en muselant des propos de cette manière, en ne le faisant même pas exprès et ne cherchant pas à se remettre en question, que l’on alimente l’homophobie. De fait, cela fait une bonne expérience pour Yanis et son ami, ils seront mieux armés à l’avenir. Mais fort dommage de mettre un novice des débats radiophoniques dans une position aussi instable pour parler du projet, assez conséquent pour un étudiant, qu’il est en train de mener à bien.

Au final on se rend compte que ce n’est pas le premier documentaire qui cherche à revaloriser le département de la Seine Saint-Denis. Mais avec ce sujet de documentaire, il ne faut pas s’arrêter à ce simple constat pour soutenir ou non le projet. Il faut que chaque individu réfléchisse en tant que principal concerné. D’extérieur c’est facile de se dire que c’est une bonne initiative puisque l’on n’habite pas le lieu en question. Mais il faut essayer de se positionner comme si l’événement était organisé dans notre ville, dans notre quartier. Il faut l’accepter dans un contexte plus personnel avant de l’accepter aussi facilement chez les autres. Ce qui est bien chez son voisin, ne doit pas l’être uniquement parce que c’est chez son voisin. Et dans le cas de Saint-Denis, il ne doit pas l’être uniquement car la ville a mauvaise réputation. Comment cela nous affecterait-il si ça se produisait chez nous ? Comment cela nous affecterait-il si nous étions des habitants de cette zone ? Quel impact, positif ou négatif, cette marche pourrait-elle avoir si elle était orchestrée dans une ville où les combats des communautés LGBT sont moins omniprésents et nécessaires ? La revendication de ces jeunes ne s’interrompt finalement pas dans cette évidente manifestation pour revendiquer une meilleure reconnaissance sociale. Elle est surtout là pour inviter chacun de nous, peu importe notre orientation sexuelle ou notre genre, à savoir où l’on doit tous se placer les uns des autres du point de vue de la société.

C’est une question récurrente et probablement le principal point de mésentente entre les différentes communautés. Quand on ne cherche pas à comprendre son interlocuteur, c’est comme si on lui fermait l’accès à la tribune qui lui aurait permis de s’exprimer. On le musèle, on enferme ses interrogations avec ses peurs et on crée chez certains des démons intérieurs. La Première Marche, c’est cette revendication de la part d’une jeunesse qui se refuse à céder à ces démons intérieurs et se bat, plus ou moins adroitement, avec les armes à sa disposition pour avoir des réponses, des aides, des orientations. Parfois même pour faire bénéficier de tout cela à d’autres qui nagent encore plus profondément dans le floue.

Ce qui s’apparentait presque comme un exposé de lycéen à sa naissance, se termine comme un vrai combat social. Chacun peut y voir là une manifestation du combat qu’il mène. Il est toutefois important d’insister sur le fait que l’initiative vienne d’étudiants. Les combats sociaux se font de plus en plus au travers d’une jeunesse qui ne se laisse pas faire mais dont les idéologies sont constamment récupérées politiquement. Parfois même au détriment lourd de sa vocation d’origine, d’où, souvent, l’apparition de groupes aux idéologies plus extrêmes et à des dérives dangereuses et contre-productives qui musèlent encore plus les propos desdites communautés.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*