Le Diable, tout le temps : La noirceur de l’âme humaine

On se souvient encore en 2012 du choc ressenti à la lecture du roman Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock. On se trouvait là plongés dans un abîme de désespoir, de moiteur du Sud des États-Unis et de violence. Le livre, qui rappelait Cormac McCarthy ou Jim Thompson, nous faisait basculer et tomber à la renverse sans jamais nous tendre la main pour nous aider à nous relever. Il était quasiment inévitable qu’un récit au potentiel cinématographique aussi fort finisse par être adapté. C’est le cinéaste Antonio Campos (à la carrière plutôt discrète jusqu’à présent) qui s’en occupe et le film est désormais disponible sur Netflix depuis le 16 septembre dernier. De quoi satisfaire les amateurs de Southern Gothic et de récits sans concessions.

Le film se déroule dans les années 50 et suit plusieurs trajectoires entre l’Ohio et la Virginie-Occidentale. L’une des rares figures innocentes du récit est le jeune Arvin Russell, orphelin recueilli par sa grand-mère depuis que sa mère est morte d’un cancer et que son père s’est suicidé. Ayant appris par son père que le monde était brutal et sans merci, Arvin tâche de protéger les siens et de survivre parmi une belle bande de crapules. On croise en effet dans le film un couple de tueurs en série qui prennent leurs victimes en stop, un prêcheur convaincu de pouvoir ressusciter les morts, un shérif corrompu prêt à tout pour garder son poste ou encore un révérend couchant avec les jeunes filles de sa paroisse pour mieux les rejeter par la suite. Tout un programme où se dessine un portrait résolument pessimiste du genre humain, critiquant farouchement l’ignominie avec laquelle les prêcheurs, pasteurs et révérends se camouflent derrière leur foi pour commettre leurs péchés.

Le Diable, tout le temps emprunte la narration du roman, un peu éclatée suivant les personnages, nous faisant découvrir leurs trajectoires par bribes. Bonne nouvelle, Antonio Campos a parfaitement su saisir l’ambiance si particulière du livre et nous le retranscrit à merveille. Joli coup, sa voix-off impose un rythme lancinant au film (qui affiche 2h18 au compteur tout de même) et son narrateur omniscient ajoute un sentiment d’inéluctabilité face aux destins se jouant devant nous. Cette voix-off sert d’autant plus parfaitement la narration que c’est Donald Ray Pollock lui-même qui s’en charge, l’auteur adoubant ainsi l’adaptation tout en lui conférant un style unique. Si la distanciation effectuée par la voix-off empêche peut-être le film d’atteindre des sommets émotionnels, elle permet à celui-ci de retranscrire à merveille l’atmosphère mortifère du roman et de dépeindre ce monde corrompu où rien ni personne, et surtout pas la religion, ne peut sauver les êtres. Seule façon de s’en sortir, la violence à opposer face à la violence, échappatoire abîmant l’humain mais permettant de survivre.

Vous l’aurez compris, à condition d’être prêt à accepter son rythme langoureux (que l’on salue ici comme une qualité, savoir prendre son temps étant une qualité devenue rare au cinéma), sa noirceur désespérée (une qualité là aussi, mais il faut s’attendre à prendre un coup au moral en le voyant) et son traitement inégal de certains personnages, Le Diable, tout le temps est un film à découvrir, adaptation solide transpirant d’amour pour un genre moite que l’on adore voir aussi bien retranscrit sur l’écran. Le casting y est pour beaucoup, chaque acteur campant son personnage dérangé avec délectation (mention spéciale à Robert Pattison, carrément flippant en révérend libidineux et toujours propre sur lui). Face à eux, Tom Holland, que l’on a trop souvent vu en Spider-Man ces derniers temps, nous rappelle son talent d’acteur remarqué depuis ses débuts et fait preuve d’une belle gravité que l’on aimerait voir plus souvent. Belle réussite, Le Diable, tout le temps est donc à voir de toute urgence, à moins bien sûr de craindre de vous noircir un peu plus l’âme devant ce portrait peu reluisant du genre humain…

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