3 From Hell : Les psychopathes aussi ont du vague à l’âme

Les voilà enfin de retour, ces fameux rebuts du diable que l’on avait tant aimé abhorrer dans le diptyque culte réalisé par Rob Zombie dans les 2000’s, et plus particulièrement The devil’s rejects, balade sauvage ayant laissé des séquelles chez quiconque a posé les yeux dessus un jour. Seulement voilà, aussi curieux et impatients que l’on puisse être face à la perspective de revoir ces sales tronches à l’écran (même si cette fois, ce sera uniquement chez soi, triste époque oblige), il semble difficile de ne pas tout autant être inquiets face à ce qui s’apparente pour son instigateur à un retour en arrière presque obligé, face à une carrière ayant pris un tour assez mitigé, pour ne pas dire stagnant. L’auteur anarchiste tant loué à ses débuts s’est fatalement transformé, budgets de plus en plus indigents en poche, en cet artisan à l’univers certes identifié et reconnaissable entre mille, mais également refermé sur lui-même, comme s’il n’avait déjà plus rien à dire, en tout cas dans ce genre-là. Les projets chers à son cœur abandonnés, lui restait donc les bonnes vieilles bases, même si le final de The devil’s rejects semblait définitif, personne à l’époque de sa sortie n’ayant sans doute imaginé que les personnages puissent revenir dans une vraie suite. Ceci étant posé, et l’idée que ceux-ci évoluent dans un univers purement fantasmatique n’ayant strictement rien à voir avec une quelconque réalité acceptée, reste donc ce troisième épisode, bel et bien là devant nous aujourd’hui, avec cette impression première laissant un goût amer en bouche, mais dont il est difficile de se détourner totalement.

Mais avant de nous attaquer au contenu, revenons rapidement sur le fabrication compliquée du film, due à la maladie de Sid Haig, incapable en l’état de tourner dans le film. Obligé de réécrire une grande partie du film pour introduire à sa place un autre personnage, demi-frère de Otis et Baby interprété par l’excellent Richard Brake, le cinéaste tient néanmoins à offrir une porte de sortie pour le Capitaine Spaulding, lui écrivant un monologue permettant d’assimiler la disparition du personnage, monologue que le comédien devra lire sur un prompteur de par son impossibilité à mémoriser le texte. Nous apparaissant exténué, le visage cadavérique, Sid Haig fait ce qu’il peut pour rendre service à son ami, et partir de la manière la plus digne possible, mais l’effet sur le spectateur à ce moment-là est franchement étrange, pour ne pas dire bouleversant, tant le pauvre donne l’impression d’être au bout du rouleau. L’acteur étant décédé depuis, cela a forcément un effet émouvant rétroactivement. D’autant plus qu’il est difficile de rendre acceptable dans le scénario le fait que son personnage soit exécuté si vite, tandis que Otis, le plus psychopathe de tous, coule des jours tranquilles en prison, effectuant même des travaux d’intérêt général avec un seul garde pour veiller tout ce beau monde. Son évasion sera donc un moment purement surréaliste, prouvant bien que pour accepter tout ce qui suivra, la suspension d’incrédulité sera indispensable, sans quoi le spectateur risquera de passer tout le film à remarquer des options scénaristiques au choix, déstabilisantes ou surréalistes.

Débutant son film de manière chaotique, à travers de longs flashs télévisés concernant le procès de cette famille de psychopathes, ce choix s’avère plutôt intelligent dans le sens où il permet une mise en perspective avec tout un pan de la « culture » américaine consistant à stariser des êtres maléfiques, le peuple en ayant à la fois peur, mais ne pouvant s’empêcher d’être fasciné par ces figures du Mal absolu. Le pays a connu son lot d’affaire sordides, sombres personnages devenus tristement célèbres pour leurs méfaits, et cette longue introduction retranscrit tout ça de manière plutôt habile, avec une esthétique totalement adaptée. Ensuite, le récit se fera plus parcellaire, passant d’un personnage à l’autre en ayant du mal à trouver un angle d’attaque bien précis, entre les énièmes méfaits de Otis ne pouvant s’empêcher de faire ce pour quoi on le connaît, à savoir massacrer des gens, et Baby en prison, définitivement partie dans son monde, ce qui permet à Sheri Moon Zombie de nous livrer un jeu en free style total, au choix totalement à l’ouest ou pas loin de l’art contemporain. Toujours est-il qu’il est difficile à ce moment-là de voir où Rob veut en venir, ni même si lui-même le sait. Et cette impression de lassitude avancée sera un peu ce qui caractérisera ce volet, même si recul de visionnage oblige, force est de constater en y repensant, que cela était peut-être l’objet de ces retrouvailles, option finalement pas si incohérente que ça.

La mort de Sid Haig, et donc du Capitaine Spaulding, aura clairement infusé dans l’esprit général. Comme une figure paternelle qui planait au-dessus de tout ce petit monde, même lorsque ce dernier n’était pas à l’écran. Les personnages semblent en avoir conscience eux-mêmes, comme si sa disparition rendait leurs exactions et leur existence dénuées de sens. La folie de Baby finit par interroger Otis, pourtant pas un modèle d’équilibre. Entre deux scènes de massacres, notre petite famille endeuillée, se pose partout où elle passe, et dans ces moments de flottement, où l’on sent le scénario tâtonner, perce finalement ce que l’on retiendra du film dans sa globalité, à savoir cette fatigue transparaissant soudain sur les visages, à commencer donc par Otis, semblant presque épuisé de devoir continuer à massacrer son prochain, comme si la fonction même du personnage, imposée par l’univers de Rob Zombie, finissait par lui peser. Non qu’il culpabilise, n’exagérons rien, mais simplement cette impression qu’en l’absence du père, tout ça n’a plus aucun sens, d’autant plus dans un monde évoluant rapidement autour d’eux, tandis que ce petit microcosme semble toujours vivre dans son propre univers, n’obéissant qu’à ses propres lois. En ayant compris cela, il est permis de passer plus facilement sur les incohérences scénaristiques, avec en premier lieu cette impression tenace que la bande peut commettre les pires méfaits en continuant sa route, et ce en prenant tout son temps. Il n’y a ici aucun sentiment d’urgence, au contraire du précédent où l’étau se resserrait sans cesse.

Il faut dire qu’en l’absence d’un antagoniste de la trempe de Wydell, leur épopée semble du coup bien plus terne, et Rob Zombie en a conscience, teintant du coup ces retrouvailles d’une mélancolie peut-être pas forcément perceptible à la première vision, en tout cas pas au point de nous faire oublier toutes les carences artistiques, mais qui restera pourtant ce que l’on en retiendra à posteriori. Car ce n’est pas la structure tout bonnement calquée sur le précédent qui sera à même de nous marquer ici, entre la scène de séquestration évoquant la longue scène du motel où le pauvre Geoffrey Lewis et ses proches subissaient les pires outrages dans le précédent, les différentes haltes, et le final censé être paroxystique situé cette fois-ci au Mexique, laissant espérer un temps une imagerie héritée d’un cinéma bis oublié, avec catcheurs masqués, et où enfin vient l’espoir d’un nouvel adversaire un peu à le mesure de Otis, pour finir exactement au même point que précédemment. Jusqu’à cet ultime plan sur fond de Terry Reid, qui laisse véritablement penser que l’inspiration n’était plus avec Rob.

Malgré tous ces défauts évidents, pouvant s’avérer véritablement rédhibitoires, difficile d’effacer totalement le souvenir du film et de le balayer d’un revers de plume rageuse. Car cette quête de liberté visée par Rob, toujours cet esprit punk d’empêcheur de tourner en rond, est toujours présente, cette fois-ci mêlée à un questionnement plus profond sur le sens de tout ça, forçant ses personnages à s’interroger sur leurs motivations profondes, comme s’ils avaient soudainement conscience de faire partie d’un univers fictif rendant tout ça dérisoire, et donc leur permettant de continuer à agir comme ils l’ont toujours fait, en dépit du bon sens. Juste pour continuer jusqu’au bout à apporter leur petite contribution toute personnelle à l’humanité, se prenant toujours pour les émissaires du diable. Une ultime preuve de la liberté de ton octroyée à un metteur en scène dont le dénuement financier semble être le prix à payer pour rester intègre.

À l’issue de cette ultime odyssée, reste un sentiment de vide, et ce questionnement sur l’avenir du cinéma de Rob. Ayant visiblement atteint le bout de ce qu’il avait à raconter dans cet univers, laissant ses protagonistes errer à loisir sur une route sans fin, on aimerait donc le voir exprimer d’autres aspects de sa créativité, pourquoi pas en restant dans l’horreur, mais en acceptant l’idée qu’il a sans doute tout dit de ces personnages de white trash, mauvaise conscience d’une certaine Amérique se traînant ces derniers comme des boulets. Nul doute qu’il en a encore sous le capot, mais en a-t-il seulement envie ?

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