Un pays qui se tient sage : de Max Weber à Castaner

« L’état revendique le monopole de la violence physique légitime » – Max Weber

Alors que les manifestations citoyennes des gilets jaunes reprennent petit à petit malgré une crise sanitaire encore très présente, le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, tombe à pic. Supporté par la Quinzaine des réalisateurs, le documentaire retrace, dans un premier temps et de manière assez factuelle, l’évolution de la crise des gilets jaunes au travers des innombrables vidéos tournées via téléphone et ayant fait le tour des réseaux sociaux. La plupart proposant des images chocs, révélant la vérité des violences des affrontements entre force de l’ordre et citoyens manifestants. Evidemment l’idée n’est pas de faire un simple montage successif de toutes les images enregistrées au sujet de cette crise sociale. Mais cette simple création en ferait déjà un travail documentaire de premier ordre tant certaines images semblent tout droit sorties de pures fictions et devraient être impensable « dans un état de droit » comme la France. Pour appuyer les preuves à l’image, la motivation de Dufresne était de créer le débat entre gens de milieux et de confessions très distinctes, et ayant vécu des évènements très singuliers. Enfin l’idée était de se détacher de la forme télévisuelle vieillissante biaisée, manipulée et souvent inapte à créer un débat sain et neutre comme n’importe quel média devrait en être capable, investi et surtout intellectuellement soumis.

On le sait maintenant depuis de nombreux mois, mais les violences policières se font de plus en fréquentes mais surtout de plus en plus brutales. Seulement les choses bougent peu et alors qu’il y a des victimes lourdes du côté des manifestants, on continue d’entendre un déni total, de la part des institutions, d’un usage immodéré de la force des agents de maintien de l’ordre. Même lorsque l’on montrait il y a quelques mois une vidéo à Monsieur Castaner, celui-ci minimisait la problématique, niait la situation et prenait à la rigolade l’inhumanité dans laquelle sombre petit à petit le pays. Aujourd’hui nous avons toutes ces images, sans exception. De la plus violente à la plus humaine, de celle qui discrédite les gilets jaunes à celle qui montre une police en totale roue libre. Ce simple recueil est factuellement consternant. Consternant de voir un policier qui jouit à l’idée d’avoir une classe, ou du moins un groupe d’ado, agenouillé, muselé, humilié tel un peloton d’exécution sur le point de passer à trépas. De voir des membres des forces de l’ordre sortir leur arme de service, meurtrières, pour braquer la foule. De viser le visage d’un homme, qui n’a guère que ses poings pour se défendre, à bout portant avec un flashball. D’un groupe de personnes qui se rendent mains sur la tête mais se font passer allègrement à tabac par des barbouzes sans vergogne à 10 contre 4. À force d’étudier les délinquants les plus lâches des ghettos qui ne se battent qu’à quinze contre un, ils ont finis par en adopter les codes.

Mais qui sont ces gens qui se font braquer, agresser, qui, pour certains, perdent des membres, un œil, une main, parfois des jambes, et dans une malchance ultime, la vie ? Ce sont les intervenants de ce documentaire, car qui mieux que les victimes elles-mêmes peuvent relater leur histoire ? Qui mieux qu’eux peuvent raconter la situation à un auditoire ? Et pourtant jamais ils ne semblent être passés à la télévision pour le faire. Et c’est là que le documentaire de David Dufresne prend une toute autre tournure. Ces défenseurs inopinés de nos droits et de nos libertés, qui militent pour une justice sociale et parfois se sacrifient dans l’espoir d’une prise de conscience générale, nous montrent enfin un visage. Un visage épuisé souvent, brisé par une société qui n’aime pas avoir des fortes têtes en son sein, capables de remettre en cause sa suprématie. Et on leur octroie enfin le droit à la parole. Une parole à des années lumières de ce que les médias traditionnels et les politiciens leur attribue à longueur de journée.

Et c’est là que le média à travers lequel Un Pays qui se tient sage délivre son message et fait sens. Avec ce documentaire David Dufresne remet également au centre de l’intérêt le but premier du cinéma sous tous ses aspects. Un grand écran pour décupler la force des images, un micro et une caméra pour une liberté d’expression et d’opinion et une parole libre pour laisser place au débat entre les différents intervenants. En effet, en plus d’une partie des vraies victimes de bavures policières, le réalisateur a invité d’autres nombreux intervenants, tous spécialisés dans des domaines très divers pour multiplier les idées durant les discussions. Et contrairement aux habituelles interventions plus ou moins à côté de la plaque offertes par BFMTV et consorts, ici on assiste à un développement d’idées et des analyses très poussées, souvent particulièrement justes mais toujours très intéressantes quand on les réévalue en fonction de leur contexte.

En réalité Dufresne ne pose qu’une seule véritable question, celle de Max Weber qui est  » l’état revendique pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime « . Seulement ensuite il montre les images, formes des face à face et propose des pistes de réflexion pour laisser libre cours à l’opposition d’idée. Revendiquer signifie-t-il posséder ? Qu’est-ce que la violence dans un état de droit ? Qu’est-ce que la violence légitime ? Initialement, cette force n’est là que pour servir le peuple, et non celui qui s’en sert, selon l’article 12 de la déclaration des droits de l’homme, comme le dit si bien Monique Chemillier-Gendreau dans le film. Comme quoi la simple lecture d’un article suffit à rendre l’état coupable de ce qu’il réprime. Une belle leçon. C’est à ce moment également que l’on apprend le système des trois violences de Helder Camara. Dans chaque institution il existe 3 violences. La première est la violence institutionnelle, vicieuse et insidieuse qui vise à réduire droits et avantages sociaux pour mieux affaiblir, contenir et oppresser sa population. La deuxième est une violence qui naît de la première, celle de vouloir briser ses chaînes et de renverser l’institution qui fait usage de cette première violence. Enfin la troisième est la violence répressive, qui étouffe la seconde pour servir la première. Et là on peut dire qu’il n’y a pas définition plus juste pour décrire la situation en France depuis bientôt 2 ans. Le fond de la situation est beaucoup plus complexe qu’elle n’en à l’air mais la propagande politique fonctionne bien. Dans la réalité, et ce n’est clairement pas une théorie du complot, les vrais manifestants sont beaucoup moins agressifs qu’on essaie de nous le faire croire. Parmi les casseurs, certains sont mêmes ouvertement des membres des forces de l’ordre qui cherchent volontairement à foutre la pagaille.

Ce recul est primordial pour arrêter d’avaler bêtement les inepties que peuvent nous servir politiciens et journalistes de bas étages. Aujourd’hui, tous les prétextes sont bons pour faire passer les lanceurs d’alerte pour des moutons noirs. Ce sont souvent eux qui mettent en exergue un vice de société très important. Mais taper dans la fourmilière n’est jamais bon dans les affaires, et l’argent est le moyen le plus fiable et le plus efficace de museler toute forme d’opposition. Une preuve est très clairement prononcée à la fin du film, pendant le générique. On y apprend les noms et métiers de chacun mais on apprend surtout que différentes professions, politiques et judiciaires, étaient invitées à témoigner face à la caméra de David Dufresne. Si certains ont simplement décliné l’offre, d’autres se sont vus interdit d’y participer, notamment par Castaner lui-même. « Qui ne dit mot, consent » et « Les absents ont toujours tort » sont deux dictons qui en disent long sur ces décisions. Lorsqu’ils sont en confiance, les leader politiques sont les premiers à se croire au dessus de tous, prêt à rétablir la vérité la plus pure et la plus absolue. Mais lorsqu’il s’agit de venir débattre en public hors télévision, ils ne sont plus maître de la situation et préfèrent fuir. Quand ils ne sont pas obligé d’interdire à leurs agents de les représenter dans un contexte qu’ils savent perdu d’avance, non pas parce que l’auditoire n’est pas partiale mais bien parce qu’ils sont entièrement fautifs de cette situation. Ils avouent leurs péchés par leur lâcheté mais nient en intégralité leur responsabilité. Mesdames et messieurs, La République en Marche. Mais ne nous leurrons pas, cette situation n’est qu’une suite logique et inéluctable d’une situation déjà en crise depuis les années 90, et même bien avant, de gouvernements qui ne font que faire passer leurs intérêts devant ceux du peuple.

En vérité, Un pays qui se tient sage est l’exemple le plus démonstratif de la situation totalement absurde et antidémocratique dans laquelle nous vivons de plus en plus au fil que le temps passe, et ce à tous les niveaux. En remettant systématiquement en doute les affirmations et autres informations que l’on peut lire à droite à gauche concernant les manifestations de la part des médias traditionnels et des gens de pouvoir, on est en meilleur position pour réfléchir par nous-même et nous forger notre propre avis sur la situation. Il est assez paradoxal qu’un corps de métier comme la police existe pour assurer la protection des citoyens tandis qu’ils sont aujourd’hui littéralement des ennemis public l’un de l’autre. Une situation qui n’est profitable ni à l’un, ni à l’autre mais bien au seul qui puisse en tirer parti, l’état. Encore et toujours. Peu étonnant cependant quand on connait le passif de notre ex ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, ami d’un chef de gang des Alpes-Maritimes mort en 2008, gros consommateur des boîtes de nuit parisienne, il ne manquerait plus d’apprendre qu’il connaît quelque mafiosos et le doute n’est plus permis. La police a beau être composée de gens comme vous et moi, elle reste à l’image de ceux ou celles qui la dirigent.

2 Rétroliens / Pings

  1. Basta Capital : "Ok, faisons comme ça" -
  2. Drone Games : Jeu de drone, jeu de vilain -

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