Le Champion : L’ascension sociale par les poings

Continuant son exploration du cinéma américain avec des titres toujours très alléchant à son catalogue, Rimini Editions a sorti le 25 août dernier en Blu-ray et DVD Le Champion de Mark Robson. Après Sidonis Calysta qui éditait un peu plus tôt Seuls sont les indomptés, c’est donc à Rimini de rendre hommage au géant Kirk Douglas décédé en février dernier avec ce film important dans la carrière de l’acteur puisqu’il s’agit de la première fois qu’il tenait le rôle principal d’un long-métrage après des rôles secondaires remarqués (chez Tourneur ou Mankiewicz notamment).

Et quel rôle ! Douglas interprète ici Midge Kelly qui sillonne l’Amérique avec son frère Connie en tentant de gagner sa vie. Pauvre, accumulant les boulots minables, Midge commence à en avoir assez de lutter pour survivre. Il rêve de réussite et veut qu’on l’appelle ‘’Monsieur’’, qu’on le respecte. Quand on lui propose de remplacer un boxeur au pied levé pour un combat, Midge accepte et grisé par sa victoire décide d’en faire sa profession. À lui la gloire, les projecteurs braqués sur lui, l’argent et les femmes ! Mais à quel prix ? Écrasant tous les autres sur son passage, boxant ses adversaires sur le ring comme s’il boxait contre tous ceux l’ayant pris de haut, Midge est rempli de rage, prêt à perdre tous ceux qui l’aiment pour rester au sommet…

On est étonnés en 1949 de voir l’audace de Kirk Douglas d’accepter un rôle aussi antipathique. L’acteur qui, on le sait, s’est battu pour s’imposer à Hollywood comme Midge se bat sur le ring, était tout à fait désigné pour jouer dans le film et a vu là le tremplin idéal pour faire passer sa carrière à la vitesse supérieure. Son charisme, sa brutalité et son désir de réussite semblent se confondre avec les motivations de son personnage, l’acteur livrant une composition épatante. Sans concessions, le scénario va jusqu’au bout de son idée et alors qu’on pensait se trouver simplement face au drame d’un sportif prend des allures de film noir à mesure que Midge se prend au jeu de la célébrité et fait tout pour rester sur le ring, quitte à trahir ses vieux amis et à y sceller son destin. Conscient que ce milieu est pourri, refusant malgré tout de se coucher pour satisfaire les parieurs, Midge est condamné à partir du moment où il met les pieds sur un ring et qu’il en goûte les joies éphémères.

Pour accentuer cette tonalité tragique, Mark Robson filme Le Champion avec tous les ingrédients habituels du film noir. Les contrastes sont tranchants, les noirs sont d’une profondeur inquiétante et la lumière brûle presque les yeux. De nombreuses séquences sont formellement incroyables et racontent avec une sacrée force expressionniste le piège infernal dans lequel Midge met les pieds. Son désir brûlant de réussite, couplé à la rage et à la lassitude d’être pauvre interroge la notion de rêve américain et du prix de sa réussite. En montrant à ses citoyens que tout le monde peut réussir, l’Amérique crée des gens frustrés, incapables d’accepter leur condition et prêts à tout pour arriver au sommet. Grand film noir, drame enragé, Le Champion ne rejette jamais la faute sur Midge mais sur l’environnement qui l’entoure et qui le conditionne à agir ainsi, trop peureux pour revenir à sa condition première. La réussite ou la mort, tel est le prix à payer pour réussir en Amérique, voilà ce constat implacable fait par le film dont le propos est plus que jamais d’actualité.

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