Ondine : Un amour aquatique

Identifié comme la tête pensante du nouveau cinéma d’auteur allemand, génération parmi laquelle on peut également détacher Thomas Arslan (le Western Gold avec Nina Hoss, c’était lui), Christian Petzold a fini, depuis disons Phoenix (2014, avec également Nina Hoss), par s’ouvrir à un public un peu plus large que sur ses débuts, qui étaient quant à eux placés du côté de l’ascétisme le plus radical et obtus. Repéré avec Barbara (avec vous savez qui), qui avait rencontré un vrai succès public lors de sa sortie en France (un peu plus de 290.000 entrées, ce qui est assez considérable à l’échelle du film), le cinéaste a donc depuis gagné en notoriété dans le petit monde du cinéma d’auteur européen, et ce nouveau film arrive déjà auréolé d’un certain prestige de la par le prix d’interprétation remporté par l’actrice Paula Beer (totalement mérité) à la dernière Berlinale.

Débutant par une rupture entre un homme et une femme, à une terrasse de café, le film a le don de capter l’attention immédiatement, par ces gros plans sur les visages, et ces dialogues secs et chargés en mystère. La femme interprétée par Paula Beer dit des mots assez violents, assurant à l’homme que s’il la quitte, elle devra le tuer, c’est ainsi que les choses sont et il n’y a aucun raison que cela change. En effet, dans la mythologie ancienne, Ondine est cette sirène voulant vivre une vie de femme, mais qui doit être aimée de manière inconditionnelle, et qui se retrouvant trahie, doit obligatoirement tuer l’homme aimé, et s’en retourner dans les profondeurs d’où elle vient. Dans le film de Petzold, Ondine vit donc comme une humaine, professeure en urbanisme berlinois, et aime Johannes. C’est lui qui la quitte au début, mais au lieu de se conformer à la règle, elle préfère tomber amoureuse d’un autre homme. Cet homme, c’est Christoph, scaphandrier qu’elle suivra lors de ses plongées dans des mondes engloutis. Point de départ d’une histoire d’amour passionnelle et forcément tourmentée, qui donne l’occasion à Petzold  de mêler à la fois l’intimisme de cette relation dont la grâce se transmet sans peine sur le ton général du film, délicat et élégant, à l’histoire de Berlin, que l’on entend à travers les discours de Ondine dans le cadre de son travail. Et c’est bien cet aspect qui ressortira principalement de l’œuvre, au-delà de sa première ligne de lecture héritée du conte.

Et c’est également cet aspect qui troublera le plus, tant ces discours prendront une place qui pourra presque, du moins dans un premier temps, paraître quelque peu disproportionnée. Si la résonance thématique est indéniable et pourrait constituer un film entier à elle seule, comment prendre celle-ci dans le cadre de ce qui est avant tout une histoire d’amour intemporelle et poétique, dont on pourrait en soi se contenter ? Et pourtant, en prenant connaissance des propos du cinéaste dans le dossier presse, force est de constater que ces derniers font prendre tout son sens au film dans sa globalité. Berlin est à la base une ville construite sur des marais, ayant donc asséché un monde pour devenir cette grande ville. En tant que ville moderne, elle est le résultat d’une conception, et a vu ses mythes importés par les marchands voyageurs. Tous ces mythes détruits petit à petit, d’après le cinéaste, faisaient sens à travers le mythe d’Ondine, et avec ces propos en tête, tout le film finit par prendre une autre ampleur, grandissant finalement en nous au fil des jours.

Pourtant, malgré toutes ses qualités indéniables, tant du point de vue strictement formel, laissant toute la place à l’amour unissant ses personnages, à travers des scènes proches de la rêverie, transcendées par l’alchimie émanant de ses deux comédiens, ainsi que par cette sublime photographie très solaire, illuminant les visages et les corps à chaque instant ; que plus conceptuel, avec ces deux sujets fusionnant de manière cohérente, il manque un petit quelque chose qui nous transporterait totalement, au point que l’on s’y abandonne sans réserves. Ce défaut est un peu celui de tous les films que nous avons pu voir de cet auteur, qui s’il a un talent indéniable, manque peut-être encore d’une certaine générosité qui nous permettrait de circuler plus facilement à l’intérieur de son univers. Tout est là priori pour que l’émotion naisse naturellement, et cette grâce perceptible à chaque instant dans chaque regard ou frôlement de peau est tout à son honneur, mais il manque peut-être un souffle dans tout ça pour nous bouleverser et nous coller des frissons. Il y a le talent et la délicatesse, il manque peut-être tout simplement une fougue supplémentaire. Tout reste encore un peu trop rentré, comme si les personnages eux-mêmes avaient peur de laisser s’exprimer pleinement leurs sentiments, alors que ces derniers semblent tout de même les définir du début à la fin.

Faute d’une réelle ampleur des sentiments, qui emmènerait le film à un niveau supplémentaire, on devra se contenter d’une belle œuvre, portée par des acteurs formidables et naturellement attachants, mais dont on regrette juste de ne pouvoir ressentir pleinement leurs turbulences intérieures. Lorsque le film se finit, on a le sentiment d’avoir assisté à quelque chose de beau, mais qui ne nous a pas trituré les entrailles, comme si l’on avait suivi de loin toute cette histoire, sans avoir réellement prise sur les évènements. En ça, on pourrait rapprocher le résultat du travail de Pawel Pawlikowski, autre cinéaste de talent, formaliste de génie (Ida, Cold War), mais dont les histoires pourtant tragiques ont du mal à paraître réellement incarnées autrement que par l’image. Ce qui parfois, peut se suffire en soi, par la puissance hypnotique naturelle des images, ne peut, lorsque l’on prétend toucher à l’âme même de ses personnages, et par là-même, à un peu de chaque spectateur, suffire à notre enthousiasme. Ne nous reste que le plaisir à contempler de vraies œuvres confectionnées avec perfectionnisme, et à ce niveau, il n’y a rien à redire ici, c’est de la très belle ouvrage comme on dit. Mais pour un résultat en demi-teinte, loin d’être déshonorant, juste un peu frustrant.

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