Les Traducteurs : Qu’est qu’on a fait aux Dix Petits Nègres ?

Envie d’une partie de Cluedo ? En avant Les Traducteurs disponible en DVD & Blu-Ray depuis le 3 juin 2020 édité par Blaq Out et distribué par ESC Distributions. Deuxième long-métrage de Régis Roinsard après son Populaire avec Romain Duris et Déborah François en 2012, le réalisateur français aspire une ambition loin de la comédie sentimentale nostalgique. Genre impopulaire en France malgré des succès tonitruants dans les 70′ et 80′, le Whodunit a conquis l’Angleterre où il est né sous la plume d’Agatha Christie, puis a conquis l’Italie et ses Gialli avant de trucider tous les adolescents américains dans les diverses vagues Slasheresques depuis les années 1980 à Hollywood. 

Tout d’abord genre central de la littérature anglaise, le polar aux multiples rebondissements à trouver écho au cinéma qui s’est délecté d’adapter tous les grands succès. Le genre a même eu le droit à ses pastiches et ses déviances, notamment La Grande Cuisine réalisé par Ted Kotcheff en 1978.
Il aura donc fallu une trentaine d’années pour voir le risque d’être placardé au-dessus des salles de cinéma françaises un whodunit « So French ». Régis Roinsard déroule forcément son lot de références multiples (grâce est donnée à Agatha Christie) pour bloquer dix petits nègres européens dans un château somptueux se transformant en bunker pour traduire un nouveau tome d’une saga à succès. On pense inévitablement au Millenium de Stieg Larsson, dont des faits similaires ont été relevés lors de la traduction des nouveaux tomes suite au succès tonitruant du premier livre, Des Hommes qui n’aimaient pas les Femmes. On peut citer également des manigances pour les différentes parutions des livres signés Dan Brown après le ravage du Da Vinci Code.
Harcèlement psychologique, pression économique d’un milieu littéraire s’étant transformé en spéculateur financier autour d’une littérature devenue merchandising abusif, loin sont les temps d’une culture sage et propre. Le temps est venu aux profits autour de saga jamais assez rentable. Vente des droits au cinéma, adaptation en séries TV, remake puis reboot, la littérature a pris le tournant de son époque de consommation abusif trouvant l’écho des ventes massives en têtes de gondole des enseignes culturelles et leurs opérations marathons. 

Les Traducteurs de Régis Roinsard condamne cette dinguerie de notre époque avec un goût du suspense et du sang drôlement bien mené. Nous sommes happés dans cette claustrophobie ambiante dont les Italiens se seraient délectés en couleur jaune il y a de cela quarante ans. Des personnalités différentes coincées dans un château magnifique, contraintes de traduire dix heures par jour auscultées du monde. Mais quand des chapitres tombent sur le net (maux évidents de la culture contemporaine), c’est l’éclatement d’un groupe. La mort rôde dans les dédales bétonnés du bunker royal, théâtre de sang (le film est plutôt light) d’une conspiration envers la publication du livre et une révolte envers l’éditeur dictat.
La nouvelle génération regarde le film d’un œil amusé de voir ses belles tronches du cinéma actuel se faire zigouiller, alors que le public cible d’un âge plus avancé va s’agripper à leur canapé. Le film vrille dans sa moitié au fil d’allers-retours temporels pour mieux dévoiler le twist surprenant (ou pas), accumulant les fausses pistes et parfois les grossièretés. Bref, à chacun de se prendre (ou pas) au jeu du chat et/ou de la souris, de s’éclater devant une tentative culottée et à saluer, qui ne donnera point d’envie aux producteurs/distributeurs de creuser le genre et donner une vague idée du genre à la française dans une nouvelle série de films suite à l’accueil public mitigé du film.

À chacun de se faire un avis sur Les Traducteurs, thriller soigné et orchestré avec énergie par un Régis Roinsard ayant fait ses devoirs, peignant un suspense séduisant en dépit d’une mécanique grossière, peu aidée par des portraits de personnages mal dégrossis. Reste un final haletant, une course poursuite impossible dont seul le cinéma a le secret qui nous accroche et nous coupe la respiration. Les Traducteurs sera à revoir tous les dix ans, le temps d’oublier les enjeux, de se reprendre au jeu et au parfum délectable d’un genre jouant en qualité de nos humeurs du moment.

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