Total Recall : Ouvrez votre âme !

Il y a des œuvres qui sont indiscutablement accrochées à notre ADN cinéphile. Des mastodontes devant lesquels l’exercice de la critique constructive et objective devient plus que périlleux tant il est difficile d’avoir le recul nécessaire avec une entité qui fait indéniablement partie de soi. Total Recall de Paul Verhoeven en est le parfait exemple. C’est un film que nous chouchoutons depuis toujours dans la filmographie d’un auteur que nous apprécions grandement. Pourquoi nous risquons-nous à l’analyse de ce dernier ? Mis à part Aymeric, notre cher collègue de bureau (décidément ce dernier est indécrottable), tout le monde a déjà vu Total Recall. Tout simplement parce que le film de Verhoeven fête, cette année, son trentième anniversaire et ressort dans nos salles dans une nouvelle restauration 4K supervisée par Paul himself. Si ce n’est de vous encourager à foncer dans les salles obscures pour revivre dans les meilleures conditions ce voyage sur Mars atypique et violent, nous devons bien vous avouer que nous avons eu beaucoup de mal à trouver les mots qui décryptent au mieux cette œuvre riche et dense adaptée de la nouvelle Souvenirs à Vendre de Philip K. Dick.

2048. Douglas Quaid rêve chaque nuit qu’il est sur la planète Mars à la recherche de la belle Melina. Sa femme, Lori, s’efforce de dissiper ce fantasme. Doug va bientôt s’apercevoir que son rêve était artificiel et que sa femme est une espionne chargée de veiller à son reconditionnement mental. Il se souvient d’un séjour réel sur Mars, à l’époque où il était l’agent le plus redouté du cruel Coohagen. Il décide de s’envoler sur Mars à la recherche de son énigmatique passé.

Difficile de résumer Total Recall sans dévoiler une infime partie de ses richesses scénaristiques. S’il se base sur l’oeuvre de K. Dick, le film de Verhoeven revient, en réalité, de loin. Il a connu plus d’une quarantaine de versions depuis les années 70. Les premiers à avoir travaillé dessus furent Ronald Shusett et Dan O’Bannon. Quand ils se rendirent compte que les moyens technologiques de l’époque ne leur permettraient jamais d’avoir le rendu escompté, ils abandonnèrent le projet et s’attelèrent au script de ce que deviendra Alien, le 8e Passager. Après être tombé dans les mains de la firme de Dino De Laurentiis au milieu des années 80, ce sont celles de David Cronenberg qui se mirent à réécrire le scénario. Il laissa tomber son projet de La Mouche afin de s’y consacrer pleinement. Quand les studios de De Laurentiis eurent le projet fini entre les mains, ils remercièrent Cronenberg et ce dernier quitta le projet pour divergences artistiques. Les studios voulaient en faire un film d’action là où Cronenberg en faisait un hommage à Philip K. Dick. Cronenberg retourna à La Mouche. Entre-temps, les studios De Laurentiis ont connu un échec cuisant avec Dune de David Lynch, ce qui les amena à se désintéresser totalement de Total Recall. C’est ainsi qu’Arnold Schwarzenegger, alors en contact avec De Laurentiis Entertainment Group suite à son rôle dans Le Contrat, produit par leurs studios, décide de s’intéresser au script laissé par Cronenberg. Il tente, dans un premier temps, de le développer avec Joel Silver (producteur de Commando, Predator, L’Arme Fatale…), mais sans succès. Il parvient finalement à convaincre Carolco Pictures d’acquérir les droits du film. Il engage personnellement Paul Verhoeven après avoir été impressionné par RoboCop (pour lequel il avait été envisagé à l’époque) et remanie le scénario avec Gary Goldman (scénariste d’un des meilleurs John Carpenter, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin) et Ronald Shussett (de retour après avoir laissé projet une quinzaine d’années auparavant). En effet, le scénario, en l’état, manquait d’un troisième acte palpitant. Ils gardèrent les mutants et le personnage de Kuato que Cronenberg avait instauré et débouchèrent finalement sur ce que deviendra le film sorti en 1990. Autant de péripéties pour un film qui risque de perdre plus d’un spectateur s’il ne s’accroche pas aux détails dans les dialogues et certains éléments des décors. Une naissance scénaristique complexe à la hauteur de son contenu somme toute.

Visuellement, le film de Verhoeven est froid et austère. Le néerlandais continue à exploiter le radicalisme visuel qu’il avait développé sur RoboCop afin de cerner au mieux les enjeux de son histoire. Le béton et une prédominance grise englobent les éléments sur Terre tandis que le rouge ocre dégueule de tous les bords de l’image sur Mars. Deux couleurs dominantes qui définissent en une fraction de seconde où nous nous trouvons. Verhoeven isole sa colorimétrie dans le but de décontenancer le spectateur. Il invite ce dernier à plus qu’un voyage, c’est une initiation. Total Recall nous confronte à la violence dans tous ses états. La violence physique où le sang gicle à foison et la violence psychologique puisqu’il remet perpétuellement en question son héros. Sommes-nous en train de vivre son rêve ou le rêve est-il devenu réalité ? Voilà la grande question soulevée par Total Recall, et Verhoeven n’est pas de ceux qui vont vous tenir la main afin de vous donner la réponse. Ce qui fait la force de son film, c’est que n’importe qu’elle analyse devient plausible. Malgré ses moult réécritures, Total Recall se révèle diablement intelligent et permet l’appropriation la plus personnelle possible. Ainsi, notre compréhension de l’histoire et l’issue que nous lui donnons changera à chaque visionnage. Paul Verhoeven préfigure ce que deviendront les jeux-vidéos interactifs (comme ceux développés aux studios Quantic Dream) en offrant un film qui se réinvente à chaque lecture. Plutôt pas mal quand on sait qu’il prédisait déjà ce que sera le DVD dans RoboCop. Nous sommes vraiment dans les meilleures heures artistiques de Paul Verhoeven. D’autant qu’Arnold Schwarzenegger s’éclate dans son rôle mi-espion, mi-homme ordinaire. D’ailleurs, tout le casting, sans exception, est formidable. Entre Ronny Cox et Michael Ironside qui jouent les meilleurs méchants possible, Sharon Stone parfaite en manipulatrice vicieuse (elle nous donne les prémices de ce que Verhoeven lui demandera deux ans plus tard sur Basic Instinct) et Rachel Ticotin en sidekick idéal. C’est une sacré foire aux acteurs et un sans-faute indiscutable.

Total Recall, s’il s’éloigne de son matériau de base, a ce pouvoir envoûtant de nous donner envie de nous ruer sur la nouvelle de Philip K. Dick. C’est un film résolument culte et immanquable qui revient dans nos salles obscures dans un version restaurée approuvée par Verhoeven. Revêtez vos plus belles combinaisons. Notre envolée pour Mars débute maintenant !

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