Des Hommes : Les Murs dans la Peau

Tout commence par un long plan fixe sur un homme demandant du feu. Dans son dos l’interdiction de fumer est placardée, mais l’homme est en cage, comme perdu tournant avec ses co-détenus tels des lions impassibles. Nous sommes aux Baumettes, célèbre prison marseillaise aujourd’hui fermée et bientôt détruite où les réalisateurs, Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, ont posé leurs caméras pour se focaliser sur des hommes déambulant dans les artères de ce monument vétuste. En 2012, le contrôleur des lieux de privation qualifie les conditions de détention de la prison Des Baumettes «d’inhumaines».

Pour mieux scruter le lieu, le spectateur côtoie les prisonniers. Quelques portraits, souvent de jeunes hommes égarés, récidivistes, certains n’ont pas 20 ans et déjà l’expérience intensive de la prison entre Paris et Marseille. Drogues, agressions et car-jackings sont le quotidien d’hommes dont les réinsertions sont complexes. Le film se montre juste, détaché et sans le moindre commentaire, un style à la Frederick Wiseman, la caméra qui tourne captant les silences, l’arrêt de vies malades d’une (sur)population carcérale se concentrant dans ce bâtiment qui s’effrite «tel un morceau de shit». Les peintures sont écaillées, les murs lépreux et les toilettes suintent (un prisonnier remet de l’eau pour l’évacuation avec des bouteilles en plastique), la cour de promenades s’aperçoit tel un désert aride entourée de barbelés aux tissues lacérés. La saleté est partout.

 Les Baumettes est à l’abandon, à l’image des hommes qu’elle emprisonne en son sein et les bouffes. Lynchages, meurtres, dépressions, elle se ressent tel un ghetto diabolique où les hommes décrochent se reposant sur la religion, comptant les jours ou soulèvent des poids pour compenser la douleur du lieu. Des Hommes qui déraillent revenant toujours dans ce lieu mort-vivant, aujourd’hui passé à trépas. Les Baumettes étaient un lieu mythique totalement lâché et coupé du monde. Le film fait diaboliquement passer cette apesanteur du lieu où les prisonniers divaguent dans les couloirs exigus, cachent du shit, des téléphones et cantinent de la bouffe. Les deux réalisateurs évitent toute surenchère rendant compte de la promiscuité du lieu, mais évitant la violence palpable par l’atmosphère et les mots des prisonniers qui relatent les faits. Cela nous laisse comprendre la violence gratuite qui éclate entre la cour et les douches. La mélancolie nous happe douloureusement résultante d’un lieu puant la mort.

Alice Odiot et Jean-Robert Viallet ont réalisé un juste équilibre captant sur 25 jours, après trois ans d’investissement dans la prison, l’état d’un lieu emblématique de Marseille et son effet sur ses hommes. Peinture d’un décor social déplorable en termes de condition et de réinsertion, le documentaire est le témoin des errements des divers gouvernements et des politiques locaux laissant le désagrément d’une prison, mais surtout d’hommes qui voyagent aux grès des délits au cœur des prisons françaises sans réelles solutions, sans le moindre suivi outre d’être enfermés et coupés du monde. Des Hommes est un film fort disponible dans une édition DVD minimaliste édité par Rezo Films et distribué par ESC Distributions depuis le 8 juillet 2020.

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