Outrage : Comment panser ses plaies

Incroyable carrière que celle menée par Ida Lupino. Actrice dont on se souvient pour ses superbes yeux et son phrasé reconnaissable entre tous (chez Raoul Walsh, Nicholas Ray ou encore Fritz Lang), elle fut aussi une réalisatrice accomplie (l’une des seules au sein du Hollywood des années 50) dont le travail est aujourd’hui unanimement salué et reconnu. De quoi alimenter à son égard un mois de septembre placé sous son signe avec dès le 9 septembre la ressortie en version restaurée de Outrage chez Théâtre du Temple Distribution alors que Les Films du Camélia ressortiront quatre autre de ses films le 30 septembre (mais nous y reviendrons).

Pour l’instant penchons-nous donc sur Outrage, considéré par Lupino elle-même comme sa plus belle réussite. Il s’agit de sa troisième réalisation, initiée à travers la boîte de production qu’elle avait fondée avec son deuxième mari. Et de fait, il s’agit de son film le plus audacieux, s’attaquant à un sujet délicat et ce d’autant plus durant le règne du Code Hays à Hollywood : le viol. Bien que jamais explicitement montré et mentionné (la censure a veillé à ce que tous les vilains mots comme viol, violeur ou maniaque sexuel soient coupés du scénario), il s’agit du second film post-code à aborder le sujet après Johnny Belinda qui valut l’Oscar de la Meilleure Actrice à Jane Wyman en 1948.

En 1950, quand elle réalise le film Ida Lupino le fait avec les moyens du bord et Outrage, par son budget et sa courte durée est de fait tourné comme une série B dans le sens le plus noble du terme. Grâce à l’indépendance acquise à travers sa boîte de production, Lupino est libre de ses choix artistiques et n’a aucune peur de le montrer. Réalisatrice, productrice et co-scénariste du film, elle peut aussi imposer ses choix de casting et choisit la débutante Mala Powers pour tenir le rôle principal. La trame du récit est simple. Jeune fille sans histoires qui va bientôt se marier, Ann Walton se fait violer un soir. Traumatisée et incapable de supporter la pitié et la compassion dans le regard de ses proches, elle quitte la ville et part s’installer ailleurs, mais le traumatisme n’est pas seulement dans le regard des autres, il est profondément enfoui en elle…

D’après les témoignages de plusieurs victimes de viol, Outrage fait partie encore aujourd’hui des meilleurs films à avoir abordé le sujet, réussissant à trouver la bonne distance pour en parler sans jamais s’éloigner de la véracité des sentiments de son personnage. De mémoire de cinéphile, il est vrai qu’on a rarement vu un portrait aussi juste, aussi empathique et aussi touchant qui soit réalisé sans pour autant verser dans le mélo purement américain. Bien aidé par une Mala Powers absolument bouleversante, Ida Lupino fait preuve d’un véritable talent de mise en scène. Son approche essentiellement réaliste n’hésitant pas à basculer lorsque la dramaturgie l’y autorise (la scène de l’agression tournée dans un décor de ville de nuit a de grosses allures expressionnistes), mais sans jamais se déroger à ce que vit l’héroïne. Fascinée par les personnages blessés, Lupino décortique les traumas d’Ann et s’intéresse également à sa reconstruction à travers la tendresse qu’éprouve pour elle un révérend. Outrage ne cède pas pour autant à la facilité : si la fin laisse entendre qu’Ann va aller mieux, elle n’en met pas de moins de côté la violence de ce qu’elle a subi, violence capable de ressurgir dès qu’un homme se rapproche trop d’elle.

Vibrant portrait de femme, réalisé sans craindre d’aborder en profondeur combien Ann est marquée par le drame, Outrage a effectivement de quoi rendre Lupino fière de son travail. Travail à découvrir d’urgence dans les salles dès le 9 septembre prochain donc, sous peine de passer à côté d’un grand film.

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