Rocks : Sœur(s) courage

Social, réaliste, fédérateur, générationnel : Rocks de Sarah Gavron est typiquement le genre de films susceptibles de créer le plébiscite auprès d’un large public, aussi bien celui composé des spectateurs peu exigeants et avides de storytelling que celui des critiques idéologues et moralistes (comprendre ce dernier terme en son sens originel, à savoir « témoin de son époque ») férus de discours et de messages à caractère sociétaux. Logiquement récompensé du Grand Prix du Jury au dernier Festival des Arcs le troisième long métrage de Sarah Gavron nous entraîne sans ambages dans le quotidien de son héroïne-titre (humblement interprétée par la débutante et très sincère Bukki Bakrai) : Rocks, adolescente britannique dont la mère disparaît du foyer familial dès les quinze premières minutes dudit drame, lui laissant sur les bras la responsabilité de son petit-frère (D’Angelou Osei Kissiedu). Désireuse d’échapper aux services sociaux l’adolescente sollicitera l’aide de ses camarades de classes afin d’entretenir – par tous les moyens – le secret de cette absence…

Une chose frappe de but en blanc lorsque l’on regarde Rocks : cette impression d’un refus catégorique de style, de m’as-tu-vu technique et d’afféteries émotionnelles de la part de la réalisatrice ; cette absence d’esbroufe – force intrinsèque au film – en forme en même temps la faiblesse, le rangeant avec application dans les registres d’une tiédeur à la fois très touchante et parfois plus qu’effacée, à l’image des nombreux plans en constituant le métrage (plans éclairés avec un soin tour à tour terne et diurne par la chef opératrice Hélène Louvart). L’ensemble manque d’aspérités visuelles et plastiques, conférant aux images une dimension diaphane, presque immatérielle, en totale paradoxe avec le caractère très concret du propos.

Le portrait générationnel (intention artistique évidente propre à Sarah Gavron) a le mérite de se dessiner naturellement au fil des séquences, certainement fortement étayé par le travail de casting sauvage opéré par la réalisatrice et son équipe en amont du tournage (l’ensemble des comédiennes et des – rares – comédiens est pratiquement amateur et novice en termes de jeu). Essentiellement féminine l’alchimie du film pose un regard tendre sur l’adolescence de la génération Z, sans préjugés moraux ni complaisance. Le canevas narratif évoque par ailleurs fortement celui du très bon téléfilm français La fracture du Myocarde de Jacques Fansten diffusé au début des années 90 : même idée d’une jeunesse gardant le secret de la disparition d’un parent proche afin d’échapper à l’Assistance, même portrait naturaliste des milieux scolaires et même fraternité loyale et débrouillarde… On pense évidemment au cinéma de Ken Loach dans sa vue d’ensemble et aussi au très indépendant Fish Tank sorti en 2009, autre film britannique bousculant les consciences en se concentrant sur une adolescente devant faire face à la crise de la cellule familiale (avec une Katie Jarvis néanmoins davantage abrasive, bouillonnante que la très sobre Bukki Bakrai).

Une oeuvre sympathique et plutôt plaisante à suivre, toutefois trop sage dans ses ambitions. Rocks transmet avec simplicité une élégante authenticité sociale et même – à son corps défendant – quasiment politique : en synthétisant tous les milieux sociaux et religieux au coeur de son métrage Sarah Gavron tend à une certaine forme d’objectivité, même si un relief esthétique plus prononcé aurait été le bienvenu…

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