Mo’ Better Blues : Deux garçons dans le vent…

New-York, 1990. L’histoire de Bleek et de Shadow, deux musiciens rivaux opérant dans le même quintet. Le premier, trompettiste et leader du groupe, vit sa passion pleinement tout en se complaisant dans l’ambivalence sentimentale, jouant de son instrument et de ses lèvres en jonglant entre deux relations, entre la sanguine Indigo et Clarke la séduisante chanteuse. Le second, saxophoniste fringuant au standing rigoureusement entretenu, aspire à une carrière en solo tout en courtisant la belle Clarke… L’histoire de deux amis et collègues à la philosophie amoureuse clairement différente et aux objectifs professionnels pour le moins divergents, histoire filmée sous le regard tendre et fiévreux de Spike Lee et partagée par les trois autres membres du collectif musical que sont le pianiste dandy et capricieux Left Hand, l’imposant contrebassiste Bottom Hammer et le fidèle batteur Rhythm Jones… auxquels s’ajoute un manager chétif et peu fiable incarné par Spike Lee himself, impresario flambeur jouant les bookmakers du dimanche et – accessoirement – meilleur ami d’enfance de Bleek…

Ode à la musique jazzy et plongée immersive dans la communauté afro-américaine, Mo’ Better Blues figure parmi les tous meilleurs films de Spike Lee. De la même façon que Martin Scorsese filmait et sublimait la Little Italy dans ses premières oeuvres (avec Mean Streets surtout, puis avec en point d’orgue cinématographique le chef d’oeuvre Raging Bull), Spike Lee filme et sublime les rues de Brooklyn en insufflant à son cinéma des allures de conte pop-ulaire d’ores et déjà mises en oeuvre depuis son premier long-métrage (Nola Darling n’en fait qu’à sa tête) puis dans l’apothéose que représente l’excellent Do the Right Thing sorti l’année précédente. Réussite majeure de son oeuvre, Mo’ Better Blues contient tout le sel stylistique et thématique du réalisateur new-yorkais : des personnages fortement caractérisés, souvent pas loin de l’archétype, mais se passant le « joint » à des fins fédératrices ; une musique prédominante, n’ayant pas peur d’en devenir parfois envahissante voire inutile, mais délibérément vouée à créer une ambiance de pure acclimatation, ambiance étayée par les tubes incontournables de la crème musicale afro-américaine (Aretha Franklin, Ornette Coleman et John Coltrane principalement). Un style à la fois moderne, évoquant la forme du clip ou de la vidéo TV (montage très cut, utilisation singulière du double dolly shot que le cinéaste reprendra dans bon nombre de ses films – La 25eme Heure, pour ne citer que celui-ci…).

Ce joint joue constamment sur deux tableaux : d’une part sur la peinture sociologique du quintet typiquement traité par le réalisateur (rivalité des deux protagonistes que sont Bleek et Shadow, respectivement et remarquablement interprétés par Denzel Washington et Wesley Snipes , deux acteurs fétiches de Spike Lee ; appât du gain et cruauté des producteurs partiellement représenté par le personnage antagoniste campé par John Turturro), d’autre part sur les relations inconstantes et/ou conflictuelles liant Bleek aux femmes (Spike Lee à souvent recours à l’érotisation des séquences amoureuses, manière pour lui de suggérer le caractère animal, quasiment belligérant, de la sexualité). Mo’ Better Blues parle aussi de filiation et de transmission dès la séquence d’ouverture, montrant l’enfance de Bleek et de Giant l’imprésario pour mieux susciter l’attachement ou l’identification du public aux personnages… séquence reprise en esprit à la toute fin du métrage, lorsque Bleek enseignera à son tour la trompette à son jeune fils moins épris de musique que de jeux de rue…

Il n’y a finalement que peu de choses à reprocher à ce superbe morceau de cinéma prodigue et inventif, se concentrant comme très souvent chez Lee sur les questions de racisme, de genre et de communauté intrinsèques à sa condition de réalisateur afro-américain. Disponible à partir du 7 juillet 2020 aux éditions Elephant Films en Blu-Ray et DVD, Mo’ Better Blues est un plaisir de film et de musique, plaisir duquel le courageux Jungle Fever constituera le prolongement idéal l’année suivante. Un classique.

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