Point Limite : Le monde au bord de l’extinction

Jamais à court de films à nous proposer en Blu-ray pour garnir un catalogue déjà bien riche, Rimini Editions a sorti en vidéo le 16 juin dernier l’un des (nombreux) grands films de Sidney Lumet. Point Limite, titre assez méconnu dans une filmographie bien riche, est pourtant une œuvre indispensable, presque d’utilité publique sur la menace nucléaire et les dangers de laisser aux machines trop de latitude dans ce qui devrait uniquement reposer sur des décisions humaines.

Le film, commençant par une étrange séquence de rêve, ne tarde pas à très vite nous faire oublier sa séquence inaugurale pour nous immerger avec sérieux dans une situation de menace nucléaire. Nous sommes en pleine Guerre Froide et les États-Unis comme la Russie ne cessent d’utiliser la force de dissuasion pour empêcher l’ennemi d’attaquer. Les généraux et scientifiques sont fiers de clamer le génie de leur système, reposant sur des machines et des automatismes. Or, à la suite d’un incident technique, un groupe de bombardiers américains reçoit l’ordre d’atomiser Moscou. Le système étant extraordinairement bien pensé, les pilotes des bombardiers ont évidemment l’ordre de ne plus accepter de communications à partir du moment où l’ordre de larguer les bombes atomiques est donné. Une course contre la montre commence alors pour empêcher le déclenchement d’une guerre nucléaire. Certains esprits s’échauffent, d’autres comme celui du Président des États-Unis (incarné par Henry Fonda, la voix de la raison quand il joue pour Lumet) tentent de calmer les choses et de trouver une solution. Il s’agit de détruire les bombardiers et de convaincre les soviétiques que tout ceci n’est qu’un incident…

Par son pitch, Point Limite n’est pas sans faire penser au versant sérieux et profondément pessimiste de Docteur Folamour, sorti la même année. De fait, Kubrick fit tout pour retarder la sortie du film de Lumet afin que Docteur Folamour sorte avant et rencontre le succès là où Point Limite, sorti des mois plus tard en 1964 a été un échec. Qu’à cela ne tienne, avec les années, Point Limite a été sérieusement réévalué et certains disent même qu’il tient bien mieux la route que le Kubrick. Il faut dire qu’en évitant la comédie noire et la satire, en embrassant son sujet avec un sérieux impérial, le film de Sidney Lumet marque les esprits, notamment par son épure formelle (la grande majorité du récit se déroule dans trois lieux différents en huis-clos, sans aucune musique pour soutenir la narration et sans aucune forme de grandiloquence pour souligner les enjeux) et par la radicalité de son propos et ce jusqu’à sa fin, que l’on ne dévoilera pas ici mais qui marquera à jamais chaque spectateur visionnant le film.

La force du scénario de Point Limite (écrit par le solide Walter Bernstein) repose sur deux éléments. D’une part, sa science du dialogue et du langage, au cœur du film car chaque mot du Président américain doit être soigneusement choisi pour exposer la situation à son homologue soviétique. Il s’agit, comme dans Douze hommes en colère, de convaincre l’autre et le moindre mot est essentiel, pouvant faire gagner du temps et sauver des vies. D’autre part, le film a l’intelligence de ne pas choisir d’autre camp que celui de l’humanité dans ce conflit nucléaire, dénonçant la politique de méfiance et de paranoïa des deux côtés, qui a inévitablement mené à cet incident et à son inéluctabilité. Point Limite, non content d’être ainsi un grand film paranoïaque au réalisme terrifiant, se révèle être également un vibrant plaidoyer contre le nucléaire et la folie qu’il induit ainsi que la confiance trop aveugle des hommes en leurs machines, très vite capables d’être hors de contrôle à cause d’un rien.

Nul doute que Sidney Lumet a été amplement conquis par la force du scénario et son contenu politique, lui qui a toujours vivement défendu la cause des êtres humains et su révéler l’humanité de chacun de ses personnages, même cabossés. D’ailleurs, on sent bien l’implication totale du cinéaste sur le film, sa mise en scène épousant totalement le point de vue humain et la tension qui en découle. À grand renfort de plongées, contre-plongées et grands angles (trucs de mise en scène qui fonctionnent toujours très bien quand ils sont au service d’une vision), Lumet souligne l’immense pression de la situation et fait ressentir sur ses personnages le poids de leurs décisions à prendre. On sent là tout l’héritage de ses années de télévision quand il tournait ses émissions en direct car tout au long du film demeure une tension incroyablement palpable, due à un découpage au cordeau et à des interprétations impeccables de bout en bout. À noter que Stephen Frears rendra un bel hommage à Lumet en 2000 en réalisant un remake du film tourné en direct à la télévision avec une belle brochette de stars. Rien qui n’égale la puissance de ce formidable film dont la vision aujourd’hui et le constat qu’il établit demeure tristement d’actualité presque 60 ans plus tard…

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