Seuls sont les indomptés : La liberté à tout prix

La cible humaine n’est pas le seul bijou à découvrir que nous a offert Sidonis Calysta le 26 juin dernier. En effet, pour agrandir son fameux catalogue de westerns, l’éditeur a également sorti en édition limitée Blu-ray et DVD Seuls sont les indomptés, western moderne, réputé pour être l’un des films favoris de Kirk Douglas, lequel affirmait régulièrement qu’il avait également contribué à sa réalisation. Une affirmation réfutée par Bertrand Tavernier dans les bonus de l’édition, le cinéaste arguant que la mégalomanie de Kirk Douglas était si énorme qu’il aimait s’attribuer du crédit aux dépens des autres et qu’il ne faut pas enlever à David Miller la qualité de la réalisation du film.

Cela dit, Seuls sont les indomptés, c’est avant tout un scénario de Dalton Trumbo, écrit d’après un roman d’Edward Abbey (qui reconnaîtra bien volontiers que le film est bien meilleur au livre). Un scénario brillant, brassant à la fois l’une des grandes thématiques du western à savoir l’individu seul, au mode de vie dépassé par un monde qui évolue tout en jetant un regard lucide sur son héros, qui défend sa liberté de façon radicale quitte à se lancer dans une fuite quasi-suicidaire.

Le film dépeint en effet Jack Burns, cow-boy charismatique (normal puisque Kirk Douglas lui prête ses traits) qui ne peut se résoudre au conformisme américain moderne. Alors que son amour de toujours s’est résolue à se caser avec un autre pour fonder une famille et avoir un foyer, lui ne possède que son cheval et refuse de s’adapter à ce nouveau rêve américain formaté. Jack vit quasiment avec un siècle de retard (le début du film ressemble d’ailleurs à un western jusqu’à ce que Jack lève les yeux au ciel pour y voir les traces de passages d’avions) et entend rester ainsi, quitte à vivre seul. Avec son sens moral bien à lui, lorsqu’il apprend que Paul, son meilleur ami est en prison pour avoir aidé des Mexicains à traverser la frontière, il décide de tout faire pour le rejoindre. Après une bagarre épique dans un bar, Jack se retrouve donc en prison avec Paul et lui fait part de son projet d’évasion. Rangé, assagi, Paul préfère tirer ses deux ans et éviter d’aggraver son cas. Jack décide alors de s’évader seul, récupérant son cheval, tâchant de semer les voitures et hélicoptères de la police dans la montagne…

Western désenchanté et pessimiste où les chevaux n’ont plus leur place sur des routes de bitume, Seuls sont les indomptés est une ode fabuleuse à la liberté, de celle qui ne s’achète pas, qui ne se compromet pas et se vit pleinement en dépit des risques. On peut aisément imaginer que Trumbo et Douglas étaient emballés par un tel sujet, traité ici dans toute sa beauté certes, mais aussi dans toute sa réalité, Burns étant bien évidemment condamné à disparaître tôt ou tard dans un monde où il n’a plus sa place. Si Douglas impressionne dans ce rôle de cow-boy trop attaché à son cheval pour sauver sa peau, saluons également les deux autres interprétations clés du film. D’abord Gena Rowlands, à ses débuts, qui ancre parfaitement le récit avec un poids émotionnel en une poignée de scènes incroyablement justes et puis Walter Matthau, irrésistible en shérif lancé sans conviction à la poursuite de Burns, plus parce que son devoir le lui impose que par véritable envie, lui qui resterait bien assis à sa fenêtre regarder un chien errant vaquer à ses occupations tout en mâchant son chewing-gum.

Ce fabuleux trio d’acteurs est totalement au diapason du scénario (brillamment dialogué, Trumbo oblige) tandis que David Miller sait parfaitement en saisir l’ambiance dans un noir et blanc sublime (renforcé par la qualité du master proposé par Sidonis Calysta), oscillant entre moments flottants et séquences plus inquiétantes, la mise en scène sachant vraiment prendre le soin de construire une ambiance sans tout miser sur le rythme. Le résultat est un chef-d’œuvre (le mot n’est pas galvaudé ici), parabole d’une lucidité désarmante sur la condition de l’homme dans cette société moderne qui doit s’adapter ou périr en défendant des valeurs humanistes qui n’ont plus de place en ce monde farouchement capitaliste et hostile. Une réflexion encore d’actualité aujourd’hui, rendant la vision du film indispensable.

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