The king of Staten Island : L’apathique magnifique

Il nous avait laissés avec le très faible Crazy Amy, sorti en 2015 déjà. Il se faisait désirer, on finissait par craindre que le syndrome du petit génie dans sa partie, qui lui collait à la peau depuis son arrivée sur le devant de la scène, ayant perdu son inspiration et ce qui faisait sa singularité, lui soit tombé dessus un peu prématurément. Et puis on a attendu, en se permettant au passage de revoir régulièrement ses précédents coups d’éclat. Et puis arrive ce nouveau film, avec un casting neuf, et cette espérance que la fameuse touche, cette patte inimitable, soit au rendez-vous, dans un contexte quelque peu différent. Ne tournons pas autour du pot davantage, car le nouveau film de Judd Apatow est bel et bien cette petite merveille que l’on pressentait, alléchés par les critiques élogieuses parues ici et là. On y retrouve tout ce qui avait pu nous séduire dans ses travaux précédents (à l’exception de l’avant dernier donc), mais avec ce petit plus qui s’appelle la maturité, même si celle-ci était déjà présente depuis un moment. Lui restait à dépasser un peu ce monde qu’il connaissait très bien pour s’attacher à des personnages à priori éloignés de son microcosme qu’il décrivait avec tant de talent jusque là.

C’est désormais chose faite, et c’est la première raison de cet enthousiasme. En sortant de sa zone de confort et en mettant sur le devant de la scène un nouveau visage, cela lui permet de pousser toujours plus en avant ses fameuses thématiques qu’il ne cesse de développer depuis son premier long-métrage, tout en devant s’adapter à la personnalité de Pete Davidson. La seule fois où, précédemment, il semblait avoir conçu un film autour d’une personnalité en particulier, cela avait donné Crazy Amy, et on ne sentait justement plus cet équilibre parfait que l’on appréciait chez lui jusque là. Il s’agissait plus d’un show Amy Schumer que d’un film de Apatow. Ici, on est immédiatement en terrain connu, ce qui n’est bien entendu pas à prendre comme un reproche, car bien que l’ambiance générale, les personnages et cette façon de jongler sans cesse sur un fil tragi-comique avec une adresse remarquable, nous évoquent forcément bien des souvenirs, et notamment le magnifique Funny People, on sent immédiatement que quelque chose a changé, et que malgré les saillies humoristiques donnant un peps certain à l’ensemble, le ton sera tout de même beaucoup plus sombre, voir dramatique, que ce à quoi il nous avait habitués.

Cela est bien entendu, dû à la personnalité visiblement assez borderline de son acteur et co-scénariste, dont le parcours a fortement inspiré le scénario, le trauma de son anti-héros étant similaire à celui qu’a vécu l’acteur. Son père, pompier à New York, est décédé durant les attentats du World Trade Center, ce qui a entraîné chez lui des troubles graves de la personnalité. Le personnage qu’il interprète a également perdu son père pompier, dans d’autres conditions que dans sa vraie vie, mais se trimballe également de sacrés troubles, étant également atteint de la maladie de Crohn, dont le comédien souffre dans la vraie vie également. Si Davidson s’est accompli dans le stand-up, étant réputé pour son style franc du collier, rigolant de sujets morbides comme la mort de son père, son personnage, lui, vit encore chez sa mère à 24 ans, n’arrive pas à focaliser son attention sur quoi que ce soit, et tente maladroitement de vider son esprit en passant ses journées avec des potes fumeurs de weed. Souffrant de dépression et d’un manque affectif le faisant passer par des états particulièrement extrêmes, il ne parvient pas à se faire une place dans la vie. Lorsque le film débute, il est forcé à se poser des questions sur lui-même puisque c’est le moment où sa sœur (interprétée par Maude Apatow, la fille du cinéaste que l’on a vue grandir de film en film, ici très touchante) part pour la Fac, le laissant donc seul avec sa mère.

On prendra bien garde à ne pas aller trop loin dans la description du scénario, tant celui-ci s’avérera, comme toujours avec ce cinéaste, particulièrement habile dans le mélange des humeurs, même si une fois encore, l’esprit potache des débuts a ici totalement disparu. Certes, l’humour est toujours présent, et malgré l’humeur assez maussade, jamais le climat ne se fait trop pesant, car surgit toujours le dialogue choc, la situation qui fait sourire ou rire franchement, et qui nous fait comprendre que l’on se trouve ici dans ce qui semble être la vie de tous les jours, ou en tout cas dans quelque chose de très authentique. Dans la vie, on rit, on pleure, on traverse des moments de souffrance, mais jamais les moments difficiles ne nous empêchent de parfois relâcher la pression. Rien n’est uniforme, et cela, le cinéma de Judd Apatow l’a toujours merveilleusement bien restitué, le faisant ici de manière particulièrement étincelante.

La personnalité pince-sans-rire de son acteur principal a forcément beaucoup infusé dans le résultat, mais on sent bien une alchimie parfaite entre son esprit à lui et l’écriture typique de Apatow. Dans cette façon de construire son scénario autour d’un personnage central, autour duquel transitent plein de personnalités périphériques qui, même lorsqu’on croit qu’elles ne seront que secondaires, finissent toujours par prendre le contrôle de l’intrigue, en redirigeant notre empathie à un autre niveau. Car à aucun moment ces personnages faussement secondaires ne sont des faire-valoir à Pete Davidson, alias Scott Carlin dans le film. Ceux-ci servent au contraire à révéler ce dernier à lui-même, à lui faire prendre conscience de certaines choses, et ont tous leurs moments forts en faisant de vraies personnes à nos yeux, car ils ont tous un background, on sait d’où ils viennent, quelle est leur personnalité, pourquoi ils en sont là, et c’est cette attention de chaque instant à tous les caractères qui composent cet univers si chaleureux qui rend le résultat si attachant, et disons-le clairement, parfois bouleversant. Tant de choses se passent dans ce petit monde, en l’espace de seulement 2h16, car si on lira ici et là les éternels ronchons trouvant que si tout ceci est formidable, quelques minutes en moins n’auraient pas été de refus, on rétorquera la même chose qu’habituellement, à savoir que sans ces précieuses minutes en plus par rapport au tout venant, l’identification ne serait pas la même, et le ton pas si personnel. C’est justement dans ces moments de creux apparents, où il semble ne rien se passer de fondamental, que tout prend son véritable sens, que les personnages deviennent véritablement proches de nous, atteignant à une vérité humaine peu commune. Ce sont des petits rien, qui nous font nous sentir bien, et pas une seconde ne paraît pesante ici.

On peut retenir la sœur du personnage principal, interprétée donc par Maude Apatow, si inquiète pour son frère, qui voudrait être rassurée sur son cas avant de partir pour la Fac, qui en peu de scènes nous paraît déjà si proche et attachante. Il y a évidemment la maman, incarnée par la toujours formidable Marisa Tomei, elle aussi inquiète pour son fiston mais dont sa rencontre avec un autre pompier pourrait changer la donne. On retient également la sex friend, qui voudrait bien être un peu plus, jouée par Bel Powley, excellente comédienne peut-être pas encore identifiée auprès du plus grand nombre, mais dont on a déjà pu apprécier les talents dans quelques films. Et il y a ces moments où l’on se met à suivre des pompiers, dans la caserne et dans leur quotidien, où soudain ces fameux personnages pas si secondaires prennent le pouvoir, desquels on peut retenir l’excellent Steve Buscemi, et l’on s’excuse de ne pouvoir citer les autres dont on ne connaît pas les noms mais qui sont tout aussi formidables, parvenant à faire exister leurs personnages en quelques échanges, tout simplement parce que outre le talent d’écriture de Apatow, ce dernier est particulièrement doué pour obtenir le meilleur de chacun, et pour nous faire aimer des personnes d’horizons différents, ici totalement à l’opposé des Seth Rogen ou Steve Carell des débuts, mais tout de mêmes des personnages typiquement Appatowiens, même si c’est un peu moche comme expression.

On retrouve tout ce que l’on apprécie tant chez ce réalisateur, avec ce discours cette fois beaucoup plus doux amer, qui couvait déjà depuis un moment, pour atteindre ici à une vérité entraînant des moments forcément un peu déroutants, car on y retrouvera forcément des traits de caractères qui nous semblent plus ou moins familiers. Mais que l’on se rassure, chez Apatow, la déprime ne gagne jamais, et si son protagoniste n’est jamais dupe de son état, se livrant auprès de sa mère lors d’une scène déchirante et pudique sur sa souffrance et son envie de se sortir de cet état d’esprit, même s’il sait que ce sera difficile, la lumière est toujours là au bout du chemin. Car après tout, ce dernier est comme tous les héros du cinéaste, et aspire comme tout un chacun à être aimé, à sa juste valeur, et à aimer, même s’il a des difficultés pour exprimer ses sentiments. Et en ayant parcouru ce petit bout de vie aux côtés de tous ces êtres terriblement humains, dans leurs faiblesses comme dans leur instinct de vie, on a cette sensation que nous aussi avons un peu grandi en même temps qu’eux, et particulièrement que ce Scott, rejoignant la liste de ces personnages de grands enfants obligés de grandir une bonne fois pour toutes, peuplant la galaxie Apatow. Et tout ce que l’on peut dire pour le moment, c’est qu’on ne l’oubliera pas de si tôt !

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*