The Vigil : Rencontre avec le réalisateur Keith Thomas

L’imagerie chrétienne et ses démons sont tellement ancrées dans l’imaginaire collectif du cinéma d’horreur qu’on ne peut qu’accueillir avec bonheur une proposition différente dans le genre, voyant un juif orthodoxe confronté à un démon issu de sa religion alors qu’on l’a chargé de veiller un mort pendant toute une nuit. Non seulement la proposition apporte une véritable bouffée d’air frais à un genre bardé de clichés mais en plus Keith Thomas, dont c’est le premier film, arrive à maîtriser sa mise en scène avec suffisamment de talent pour nous coller de sacrés frissons. Présenté à Gérardmer lors de la 27ème édition du festival international du film fantastique, The Vigil sort désormais chez nous le 29 juillet sous l’égide de Blumhouse et marque le début d’une belle carrière pour son réalisateur. Rencontre :

Quelle a été le moteur qui a conduit à l’idée de The Vigil ? Était-ce dès le début l’envie de faire un film d’horreur ou c’est plutôt venu du personnage principal et de sa trajectoire ?

C’est vraiment parti de mon envie de faire un film d’horreur, c’était ma première volonté. C’est un genre que j’adore depuis que je suis enfant et quand j’en suis arrivé à cette période de ma vie où j’ai eu l’opportunité de réaliser un film, j’avais envie de faire quelque chose dans le genre mais avec la volonté d’y apporter une touche personnelle. J’avais plusieurs idées mais très vite, celle de faire un film d’horreur juif s’est imposé, il y en a peu dans ce registre. Je connaissais suffisamment bien cette religion et cet environnement pour réaliser quelque chose d’unique. Une fois que j’avais combiné ces deux éléments ensemble, horreur et judaïsme, l’idée de faire un film d’horreur se déroulant pendant le Shomer, cette nuit où l’on veille sur le corps d’un défunt est devenue très évidente. Elle est même tellement cinématographique et tellement angoissante que je suis étonné que personne n’y ait pensé avant !

Le film permet en effet de se plonger au sein de la communauté juive et de ses pratiques, était-ce aussi une façon pour vous de signifier qu’il y avait autre chose dans le cinéma d’horreur que toute l’imagerie catholique dans laquelle nous avons tous été bercés, est-ce finalement un film contre cette imagerie catholique ?

(rires) Moi-même j’ai grandi en regardant L’exorciste et tous les films qui ont suivi son sillage, je les aimais beaucoup mais je n’y comprenais pas grand-chose. Étant juif, je ne comprenais pas le latin ou le sens des prières que les personnages faisaient, je n’avais finalement les clés pour comprendre toute cette imagerie. Avec The Vigil, j’ai voulu apporter ma contribution au genre et réaliser un film que moi je pouvais comprendre mais aussi n’importe quel autre spectateur de n’importe quelle religion. Ce n’est pas tant contre l’imagerie catholique que mon film va, il entend au contraire marcher main dans la main à côté d’elle. L’important c’est que ça ait l’air authentique, si je vais voir un film d’horreur se déroulant chez les inuits par exemple, je voudrais que ce soit filmé du point de vue des inuits et que ça respire l’authenticité. Pour moi, l’essentiel c’est que quelqu’un qui ne connaît rien au judaïsme puisse voir mon film et comprendre ce qu’il s’y passe.

C’est le cas puisque nous venons plutôt d’un milieu catholique et à aucun moment le film ne pose des problèmes de compréhension.

Tant mieux ! Je m’étais posé la question au moment où Yakov, le personnage principal met son téfiline (les téfilines sont des boîtiers cubiques contenant des passages de textes religieux qu’on attache au bras et à la tête par des lanières de cuir, portés par les hommes de confession juive lors de la lecture du shema et de la prière matinale – ndlr). Je me demandais s’il fallait expliquer ce qu’il faisait mais je ne voyais pas du tout comment inclure dans le récit une explication qui n’ait pas l’air de sortir de nulle part. J’ai alors compris que le public allait comprendre que c’était un rituel religieux et qu’il se servait de ça comme d’une armure avant d’aller affronter le démon. Dans la réalité, ce n’est pas du tout utilisé comme ça évidemment mais je me suis dit que ce serait intéressant de s’en servir comme ça d’un point de vue narratif. Comme la croix dans les films d’horreur catholiques finalement qui sert d’arme contre les démons.

Le film est très intriguant au début en nous plongeant avec ces personnages ayant quitté la communauté juive orthodoxe, on ne sait pas trop où l’on va aller. Comment avez-vous travaillé cette approche ?

Encore une fois, c’est une question d’authenticité. J’avais besoin que l’on puisse entrer au sein de la communauté et je me suis dit que ce serait intéressant de faire ça par le prisme de quelqu’un ayant quitté cette communauté et qui se voit contraint d’y retourner. C’est intéressant d’avoir un personnage comme ça, en crise et je trouve ça plus pertinent de le voir retourner dans cette communauté plutôt que de le voir la quitter. Pour la scène d’introduction du film, où plusieurs personnes sont réunies autour d’une table et parlent de la difficulté de s’adapter au monde après avoir quitté la communauté, il n’y a que l’acteur principal Dave Davis qui ne venait pas de cette communauté. Tous les autres acteurs sont des gens ayant véritablement quitté la communauté hassidique, cela permettait tout de suite d’ancrer le récit dans le réel. Et Menashe Lustig qui joue le rabbin venant chercher Yakov fait partie de la communauté. Le truc, c’est que c’est une communauté très isolée, ils ne regardent pas de films, ils n’ont pas la télé, ils n’ont quasiment pas de contacts avec le monde extérieur et c’était très dur au début de filmer dans leur quartier. Beaucoup de gens sont venus nous voir, inquiets, craignant que l’on fasse un film pour se moquer d’eux. Heureusement des rabbins étaient avec moi sur le tournage et ils m’ont beaucoup aidé à leur faire comprendre qu’on ne faisait rien de mal. Mais leur curiosité s’arrête là, ce sont des gens qui ne verront jamais le film !

Vous parlez de votre quête d’authenticité, est-ce que vous avez effectué des recherches concernant le démon que doit affronter Yakov ?

Oui bien sûr. C’est un sujet qui me fascine depuis longtemps, j’ai fait une école rabbinique quand j’étais plus jeune. Je ne suis pas devenu rabbin mais la thèse que j’ai écrit pendant mes études portait sur les monstres de notre religion. J’ai toujours été fasciné par ce sujet, j’aime beaucoup la théologie et tout ce qui est un peu macabre. Pour The Vigil, je savais qu’il me fallait un démon. On avait déjà vu des films avec un dibbouk, certainement le démon le plus populaire de l’imagerie juive (et d’ailleurs le court-métrage Dibbuk réalisé par Dayan D. Oualid a gagné le Grand Prix du Court-Métrage cette année à Gérardmer – ndlr). On a aussi pas mal de films avec le golem, je voulais vraiment quelque chose de différent et malheureusement la religion juive ne comporte guère de démons car nous n’avons pas d’enfer ! (rires) J’ai donc dû effectuer beaucoup de recherches pour trouver mon démon, le mazik, qui existe vraiment dans la littérature rabbinique. C’est un nom qui veut dire destructeur en hébreu et on dit qu’on peut le trouver dans des lieux vides comme des vieilles maisons. J’ai pris ce démon, triché un peu avec lui car il est normalement invisible et j’ai rencontré un rabbin qui a étudié la démonologie et qui m’a permis de faire rentrer le mazik dans mon histoire située dans la communauté hassidique.

Et vous l’insérez à merveille car ce n’est pas seulement un démon qui est là pour faire peur, c’est aussi un être maléfique qui se nourrit de la souffrance des gens et qui a pris racine chez l’homme décédé que Yakov doit veiller quand celui-ci était en camp de concentration. C’est une façon pour vous de parler de la souffrance du peuple juif ?

Oui tout à fait. Je voulais aborder cette idée mais sans trop la marteler cependant. Mais c’est vrai que la communauté juive a connu la souffrance durant plusieurs générations. C’est quelque chose que j’ai intériorisé en grandissant, on en est forcément conscient. Ma famille vient d’Europe de l’Est à la base, elle s’est installée en Amérique entre les deux guerres mondiales mais cela ne l’a pas empêché de connaître la souffrance dans des pogroms. C’est une idée parfaitement terrifiante de savoir que l’on peut être attaqué simplement parce qu’on est juif. J’ai grandi avec cette peur inhérente et en réalisant ce film, je me suis dit qu’il était impossible de ne pas en parler, même en filigrane. C’est cette violence envers les juifs qui a causé la souffrance de Yakov et c’est ce qui le rend sensible au mazik dans la maison du défunt Litvak. Mais ce n’est pas un film uniquement centré sur la souffrance juive, pour moi c’est aussi une souffrance universelle dont Yakov est affligé. On peut tous souffrir dans notre vie et il faut apprendre à vivre avec, ne pas la laisser nous consumer.

Par l’histoire de Yakov, The Vigil parle aussi un peu de ce que cela fait d’être juif aujourd’hui, même si ce n’était pas l’idée principale du film, je suppose que vous y avez pensé aussi ?

Bien sûr. C’est d’autant plus d’actualité que l’on a tourné le film il y a un an et durant l’année qui s’est écoulée, il y a eu, en tout cas aux États-Unis, plus d’attaques antisémites que les années précédentes. C’est quelque chose dont j’avais envie de parler sans pour autant savoir si ça allait être pertinent. Malheureusement ça l’est, le spectre de l’antisémitisme est toujours là et ce n’est pas comme s’il allait disparaître du jour au lendemain. C’est quelque chose que la communauté hassidique en particulier vit quotidiennement. J’espère que le film peut ouvrir les mentalités à ce niveau-là mais si les gens en sortent en ayant seulement eu peur, ça me convient aussi.

Sur un sujet plus léger, nous avons appris que vous êtes romancier. Qu’est-ce qui vous attire dans l’écriture de scénario comparé à l’écriture d’un roman ?

Quand j’étais au lycée, je voulais être réalisateur mais je n’avais aucune idée de comment je pouvais le devenir. J’ai donc changé de direction en me disant que si je ne pouvais pas réaliser un film, je pouvais au moins écrire quelque chose, une histoire. Un roman c’est vraiment le terreau fertile pour l’imagination, il n’y aucune limite budgétaire, on peut créer ce qu’on veut ce qui est très excitant. Mais tout en écrivant des romans, j’avais toujours l’envie d’écrire des scénarios et de faire des films. Un de mes livres est tombé un jour par chance sur le bureau de Guillermo Del Toro et son équipe m’a demandé d’écrire un scénario. J’étais aux anges et tout en réalisant les limites de l’écriture de scénario, j’ai adoré ça. Le fait d’avoir des restrictions, de devoir couper à l’essentiel est aussi un travail passionnant. Pendant huit ans, j’ai écrit des scénarios à Los Angeles et à un moment, je me suis dit qu’il était temps que je réalise mon propre film. J’aime toujours autant l’écriture de romans mais je préfère les films et je pense rester de ce côté-là pendant un moment.

Vous avez justement travaillé avec des restrictions sur le plateau car le film n’a qu’un petit budget, comment avez-vous fait pour le gérer ?

C’est drôle car quand j’ai écrit le scénario, il a peu tourné à Hollywood et un producteur m’a fait une proposition avec un beau budget mais il ne voulait pas que je le réalise. J’ai refusé même si j’aurai pu toucher beaucoup d’argent. J’ai alors réalisé que j’allais devoir le faire avec un petit budget mais ce n’était vraiment pas grave, ce n’est pas un film qui a besoin de coûter cher. De plus, le budget limité vous force à faire des choix créatifs forts Et je pense sincèrement qu’avec un budget plus conséquent, j’aurai fait exactement le même film, j’aurai juste eu un meilleur salaire ! (rires)

Le film a été récupéré par Jason Blum et va sortir sous l’égide Blumhouse, je suppose que c’est une immense satisfaction ?

Absolument. Blumhouse a vu le film à Toronto et l’a beaucoup aimé. Nous allons avoir une sortie limité aux États-Unis avant qu’il ne sorte en VOD. Blumhouse nous a soutenu dès le début dans notre démarche en le sortant eux-mêmes. Je vais d’ailleurs faire mon prochain film avec eux car j’aime beaucoup leur approche du contrôle du budget qui permet au réalisateur d’avoir une belle marge de manœuvre.

Justement, votre prochain film, vous nous confirmez qu’il s’agit d’une nouvelle version du Charlie de Stephen King (dont une version a déjà été réalisée en 1984 par Mark L. Lester avec Drew Barrymore – ndlr) ?

Tout à fait ! Je vais travailler avec Blumhouse et Universal pour le faire. C’est un roman que j’ai toujours beaucoup aimé et je pense que l’on peut vraiment faire quelque chose d’intéressant avec cette nouvelle version. On a un super scénario écrit par Scott Teems qui a aussi travaillé sur le scénario de Halloween Kills qui sortira en octobre. C’est un scénario qui met en évidence tout ce que j’aime à propos du livre tout en y apportant de nouveaux éléments, Stephen King l’a lu et l’aime beaucoup. Je pense vraiment que je peux y apporter ma patte et contenter les fans du livre. C’est un projet que j’aborde avec beaucoup de plaisir. Et puis le livre contient des descriptions très précises des gens que Charlie brûle, en 1984 les effets étaient limités, là je peux vous dire qu’on va vraiment s’éclater ! (rires)

Propos recueillis par Alexandre Coudray et Mathieu le Berre durant le festival de Gérardmer le 1er février 2020. Un grand merci à Michel Burnstein et Benjamin Gaessler.

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