La Dernière Balle à Pile ou Face : La vengeance des femmes

Artus Films dégainent une nouvelle perle rare pour leur collection Western Européen. Les amoureux des westerns spaghettis seront aux anges avec la sortie DVD, dans sa version intégrale, de l’avant dernier film de Piero Pierotti, La Dernière Balle à Pile ou Face. Un film résolument féministe, qui offre des rôles féminins d’une grande envergure. Un fait bien trop rare dans un genre extrêmement codifié et presque toujours exclusivement masculin où les femmes sont, au mieux, des figurantes peu intéressantes, au pire, de simples objets d’amusement. Bien qu’il ne dresse pas une figure avantageuse des femmes dans sa première partie, le film de Pierotti retourne tous les poncifs du genre afin de magnifier ses héroïnes par la main vengeresse de son héros. Les hommes deviennent les pantins, les femmes mènent la danse. Dans un univers dopé à la testostérone, Pierotti vient nous raconter une histoire de rape and revenge et ajoute une pierre atypique à l’édifice du genre. Si le discours est louable, la forme demeure-t-elle toujours aussi efficace pour perdurer dans le temps ? C’est en tout cas toute la question à se poser et qu’Artus Films mettent en évidence par la ressortie du bousin.

Accusée du meurtre d’un banquier, la chanteuse Shanda manque de se faire lyncher par les membres d’une ligue de vertu. Alors que les autres filles du saloon se font passer à tabac, le shérif fait mettre Shanda à l’abri en dehors de la ville. Mais les deux hommes chargés de la mission la violent et la laisse pour morte dans le désert. Un hors-la-loi va la recueillir et tenter de rendre justice à Shanda.

Piero Pierotti est surtout reconnu pour ses péplums et ses films qui évoquent des noms de l’Histoire et de la mythologie. Parmi ses succès les plus notables, on lui doit Marco Polo en 1962, Cléopâtre, une Reine Pour César en 1962 également, ou encore Goliath et le Cavalier Masqué en 1963. La Dernière Balle à Pile ou Face arrive à une époque où les italiens se sont appropriés les codes du western depuis quelques années déjà. L’Italie, avec l’explosion des films de Sergio Leone, se démarque des modèles américains en offrant des westerns nerveux et violents où l’héritage culturel du pays (notamment par ses acquis de l’Opéra et du baroque) ajoute une touche unique à ces films. Plus de 700 westerns verront le jour sur le territoire. Grâce à la collection Western Européen d’Artus Films, nous avons enfin la chance d’étoffer nos connaissances en la matière. Le western spaghetti n’appartient pas uniquement aux grands noms comme Leone, Corbucci, Sollima et autres Valerii. Véritable figure de proue pour l’industrie cinématographique italienne des années 60, et avant l’explosion du giallo dans les années 70, le western spaghetti est le témoin de tout un savoir-faire italien. Pierotti offrait des films qui suivaient les modes. Nous sommes un an avant la sortie de L’oiseau au Plumage de Cristal de Dario Argento, et La Dernière Balle à Pile ou Face joue déjà diablement sur deux tableaux. Il prend parfaitement les codes du western et ouvre aussi une fenêtre sur ce que sera le giallo lors de la décennie suivante. Sans tomber dans le gore viscéral, le film de Pierotti aligne des séquences troubles où la violence psychologique est quasiment insoutenable. Le film vogue entre viol, meurtre et torture non sans jamais manquer de poésie. La Dernière Balle à Pile ou Face est un film délicat, souligné par une superbe musique signée Carlo Savina. Ce qui intéresse le réalisateur ne réside pas dans les scènes chocs, mais plutôt sur la notion de justice qu’il développera lors du dernier tiers de son film. John Ericson (disparu il y a peu) campe ainsi le rôle du justicier, le porte-parole de toutes les femmes maltraitées…et sa vengeance sera aussi juste qu’impitoyable. Un vrai anti-héros comme seuls les westerns italiens savaient les magnifier.

La Dernière Balle à Pile ou Face est un film âpre, sombre et pessimiste. Pierotti signe le scénario de son film. Il décide de se focaliser sur une violence encore peu vue dans ce genre de cinéma. Pour Pierotti, la violence qui anime les cow-boys provient du temps qu’ils passent à traîner au saloon plutôt qu’à lire la Bible. Son film possède une énorme connotation religieuse. Il bascule dans la folie lorsque l’assemblée décide passer à tabac les filles de joie qu’elle juge responsable de la dépravation ambiante. Une séquence aussi stupéfiante que dure, où les femmes sont « purifiées » des mains de fanatiques religieux. On ne saura pas vraiment quel est le parti pris du réalisateur. Est-il en faveur de la secte religieuse ou non ? On n’aura jamais vraiment la réponse puisque Black Talisman (John Ericson) préférera faire payer les auteurs du viol qu’a subit Shanda et cherchera également à prouver son innocence dans le meurtre du banquier. Jamais il n’essaiera de déjouer les idées des fanatiques religieux qu’il ne tiendra pas nécessairement pour responsable en dépit de leur participation indirecte aux maux subis par Shanda. De plus, la finalité du film laisse totalement circonspect. On ne comprendra pas bien les motivations du héros. La conclusion est aussi brutale que son premier acte. La Dernière Balle à Pile ou Face est un produit brut de bout en bout et il faudra sans doute y revenir afin de mieux comprendre toute sa substantifique moelle.

S’il est loin de surpasser les meilleurs westerns du genre, La Dernière Balle à Pile ou Face est un film rare que tout amateur se doit de posséder. Artus Films proposent une copie somptueuse duquel il ne ressort aucun grain. L’image est vraiment propre et le son d’une netteté impeccable. Nous sommes en présence d’une Rolls Royce du DVD et il serait fort dommage de s’en priver.

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