Madre : Un deuil impossible

En l’espace de seulement deux films, l’espagnol Rodrigo Sorogoyen a réussi à se faire une place de choix dans un nouveau cinéma européen moderne et énergique. Polars fiévreux et impitoyables, Que dios nos perdone et El Reino ont sacré son auteur comme un metteur en scène ultra talentueux, ayant réussi à s’approprier des genres à priori codés, pour les plier à sa propre personnalité, jusqu’au-boutiste et quelque peu remontée. Il s’agit désormais d’une quasi valeur sûre, voyant chacun de ses films garanti de sortie dans nos salles. Et pour son petit nouveau, il s’agit carrément d’une co-production avec la France, la majeure partie des dialogues étant dans la langue de Molière. Et visiblement, le cinéaste a voulu éviter qu’on l’assimile un peu trop facilement à un cinéma brutal et rentre dedans, puisqu’il en a ici pris le contre-pied total, même si l’on reconnaitra sa patte sur bien des aspects.

Première scène, et déjà un gros choc moral, qui nous fait attendre des sommets pour la suite. Nous y collons aux basques de Elena, qui sera le personnage principal que nous suivrons jusqu’au bout de cette histoire. Elle est au téléphone avec son fils de 6 ans, en vacances avec son père. Seul et perdu sur une plage des Landes, il disparaît en direct au terme d’une vingtaine de minutes anxiogènes particulièrement éprouvantes pour les nerfs, d’autant que la discussion est captée en plan séquence, la caméra restant collée aux réactions désemparées de la mère cherchant à rassurer son fils. A la suite de cette introduction d’une grande maestria, nous retrouvons cette mère détruite, 10 ans plus tard, s’étant installée en bord de mer, ne pouvant se résoudre à la perte de son petit garçon, caressant à l’évidence l’espoir de le retrouver un jour. Un jour, elle aperçoit parmi une bande d’adolescents, un garçon dont l’apparence lui donne immédiatement la sensation qu’il pourrait être ce fils perdu, et va progressivement nouer avec ce dernier une relation troublée et troublante …

Un sujet qui pourrait donner lieu à 1000 bifurcations possibles, pas loin de ces drames que l’on assimile à un certain cinéma français voulant à tout prix faire « auteur ». Et il semblerait que le cinéaste ait visé clairement une respectabilité dont il se disait peut-être, qu’il ne pouvait l’atteindre totalement avec ses films noirs et nihilistes précédents. Et à priori, pourquoi pas, car avec son style fiévreux cherchant sans cesse le point d’impact qui transcenderait le récit et les spectateurs, on se met à rêver rapidement de ce type de moments ici, qui nous chambouleraient au-delà de la moyenne. Mais très rapidement, on se rend compte que ce ne sera pas tout à fait le cas, ou en tout cas que nous n’aurons pas le film dont nous rêvions.

En effet, si le talent de mise en scène que l’on connaissait déjà au réalisateur répond bel et bien présent, avec une force peut-être encore décuplée, celle-ci aura bien du mal à emmener le récit vers autre chose que ce à quoi on pouvait s’attendre dès le départ. Filmé avec une ampleur souvent estomaquante, à coup de très longs plans isolant souvent Elena au milieu du paysage, à commencer par la plage, on pense au lyrisme d’un Terrence Malick, qui se serait enfin débarrassé de ses considérations philosophiques qui plombent son cinéma depuis plusieurs films, ainsi que de cette voix off s’adressant à Dieu proprement imbuvable. N’ayant donc gardé de ce dernier que le meilleur,  à savoir cette façon de filmer les éléments en voulant en sublimer le moindre aspect, à travers un filmage d’une élégance et d’une grâce absolues, à coup de mouvements de steadycam exécutés à la perfection, il sait nous offrir du cinéma à chaque plan (on prend également comme exemple cette façon de faire du cadre dans le cadre) , ce qui est déjà beaucoup, et permet au film d’aller au-delà de son statut de petit drame auteuriste, pour le reste pas bien novateur.

Il y avait ici matière à explorer pas mal de pistes, au potentiel parfois trouble et malaisant, de par cette relation entre une adulte brisée et un adolescent qui a forcément tendance à s’enflammer facilement. Là où cette mère abîmée veut à l’évidence croire à l’impossible, en projetant son fils disparu sur cet adolescent, ce dernier cherche un premier amour, forcément impossible, qui s’il était assouvi, évoquerait forcément, qu’on le veuille ou non, une sorte d’inceste par transfert. Mais le cinéaste ne semble pas décidé à explorer cette part potentiellement transgressive du récit, se focalisant donc sur une intrigue au final très convenue, ne poussant jamais celle-ci vers des zones un peu moins tranquilles. Et lorsqu’il se décide à partir dans ses fameux moment évoqués plus haut, d’acmé dramatique, ces derniers semblent systématiquement comme tués dans l’œuf. On pense à une scène d’intrusion dont nous ne dirons rien de plus ici, qui fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose, se terminant sans qu’il ne se soit au final passé grand-chose de décisif.

À la base, il y avait un court métrage, réalisé en 2017, multi primé, ayant donné envie à son auteur de poursuivre cette histoire en format long, mais cela se voit justement un peu trop au final, tant l’on a l’impression tenace de quelque chose d’étiré sans que cela ne paraisse indispensable, comme si le réalisateur lui-même ne savait trop où se diriger. C’est pour cette raison que l’on a au final cette sensation d’inachevé, d’un film très convenu, ne dépassant jamais du cadre, se concluant de manière bien trop sage pour convaincre. Le film ne parvient pas à se suffire sur la somme de ses qualités indéniables, et son incapacité à conduire son récit de manière satisfaisante empêche d’en faire autre chose qu’une belle œuvre. On attendait des débordements, de l’incandescence, surtout que la comédienne principale, Marta Nieto, est extraordinaire, mais il faudra se contenter d’un petit drame paraissant bien trop français, avec juste plus de cinéma que la moyenne du genre (on pense un peu à ce que fait Mélanie Laurent, notamment le beau Respire) ! Dommage, mais le talent est quand même bien là, et l’on continuera à suivre avec intérêt la suite de la carrière de Rodrigo Sorogoyen.

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