Park : Les Rois de l’Attraction

Park, Athènes : année 2016. Dimitris, Anna et leur bande siègent sur les gradins du village olympique désaffecté de la capitale grecque. Concours de crachats, contorsions physiques, maintiens de barbichette : jeux de mains et combats de coqs pour cette tribu d’adolescents s’amusant comme elle peut, jeunes désœuvrés passant et tuant le temps coûte que coûte à défaut d’échapper au terrible poids d’une misère sociale devenue quotidienne, collant à leur peau comme une vieille et sale habitude… Park, le très prometteur et premier long métrage de Sofia Exarchou, n’est rien de moins que le beau récit d’une jeunesse éperdue de repères et férue d’enfantillages en tout genre, celui d’un en devenir mêlé de violences, de désirs et d’optimisme mâtiné de clairvoyance…

Sans véritable commencement ni réelle conclusion, Park avance par séquence, chemine par tranche de vie : jour après jour, nuit après nuit, il montre à hauteur de jeunesse d’authentiques moments, d’authentiques instants captés par l’oeil bienveillant de la cinéaste. Haptique, purement sensible et sensoriel, le regard de Sofia Exarchou épouse au plus près l’intimité, la singularité de chaque fille et de chaque garçon des quartiers suburbains de la cité grecque. Effervescent, pratiquement étranger au monde des adultes celui de Park évoque logiquement celui des Kids du cinéma de Larry Clark, dans cette quête d’ivresse similaire recherchée à travers le sexe, la violence et les petits commerces… À l’image d’un Ken Park ou d’un Wassup Rockers, les adolescents de Park ont érigé leur propre fief, leur propre quartier général, pour ne faire qu’un avec leur environnement : en jouant à se faire mal, à se faire (maladroitement) l’amour et à honorer le simple jet d’eau d’une douche commune en un précieux jour de fête, les jeunes grecs dudit film affirment humblement leur seule et unique aspiration : celle d’une existence vouée au divertissement salvateur et permanent.

Le film brille par son vérisme et sa véracité, par la justesse de son regard réfutant toute forme d’esthétisation en même temps qu’il évite le misérabilisme tant redouté et présupposé aux yeux du sujet ; il échappe à la linéarité classique d’une narration sclérosée à renfort de rebondissements, préférant capter une génération plutôt que des personnages et/ou des archétypes. Sofia Exarchou s’inscrit de plain-pied dans l’époque qu’elle re-met en scène, celle d’une Grèce aux lendemains d’une crise ayant engendré la misère sociale et sexuelle de tout un peuple, d’une nation peu ou prou capable de perdurer autrement que par l’intérêt touristique qui lui incombe. Ce n’est du reste pas un hasard si le dernier quart d’heure du premier long-métrage de Sofia Exarchou montre sans fioritures une scène de tourisme sexuel pour le moins dérangeante, séquence opposant le jeune Dimitris à un quinquagénaire danois interprété par Thomas Bo Larsen (seule vraie star du casting et acteur-fétiche de Thomas Vinterberg, vu notamment dans Festen…), manière pour la réalisatrice de témoigner de la détresse de son pays.

Jouer pour oublier, se frapper pour mieux se sentir vivre, danser pour exister aux yeux des autres… Corps adolescents, moins modèles que catalyseurs de vitalité, aucunement fantoches et essentiellement matériels : Sofia Exarchou parvient à rendre cette fable purement concrète, réaliste sans être documentaire, fictive sans être fantasmée. Park, du haut de ses cent petites minutes, augure une éloquente carrière de cinéaste doublée d’un superbe tour de force. C’est à voir, assurément…

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