The Report : Les cadavres dans le placard de la CIA

Fidèle collaborateur de Steven Soderbergh depuis The Informant !, Scott Z. Burns est un scénariste aimant décortiquer les failles du système auquel il choisit de s’attaquer dans ses récits. Alors que ce qu’il a imaginé pour Contagion s’est plus ou moins révélé proche de la vérité ces derniers temps, l’homme est aussi passé à la réalisation et signe avec The Report son deuxième long-métrage, 13 ans après Pu-239 qui était sorti de façon assez discrète avec une diffusion directement sur HBO. Disponible depuis le 29 novembre dernier sur Amazon Prime Video, The Report n’aura pas eu non plus les honneurs d’une sortie salles mais cela ne devrait pas nous empêcher d’y jeter un œil, tant il s’avère important dans ce qu’il raconte.

Basé sur une histoire vraie, The Report raconte le parcours difficile de Dan Jones, mandaté par la sénatrice Dianne Feinstein afin d’enquêter sur les tortures effectuées par la CIA suite aux attentats du 11 septembre 2001. Jones met alors la main sur un tas d’informations et travaille d’arrache-pied pendant de nombreuses années pour présenter un rapport d’environ 500 pages largement accablant : après le 11 septembre, la CIA rencontre de soi-disant scientifiques leur révélant une nouvelle méthode d’interrogatoire dite renforcée. Ce n’est ni plus ni moins de la torture (qui mirent au point le fameux et horrible waterboarding), censée permettre aux suspects capturés de livrer de précieuses informations qu’ils ne donneraient pas autrement. Le gouvernement américain en donne l’autorisation avec une obligation de résultat : si le suspect avoue quelque chose de cette façon qu’il n’aurait jamais avoué d’une autre manière, alors ce n’est pas de la torture. La CIA va alors torturer des centaines de criminels, rendant impossible les procès des criminels. Pire encore, Dan Jones découvre qu’aucun renseignement obtenu par la torture n’a été indispensable à l’avortement d’autres attaques terroristes et que les méthodes habituelles fonctionnaient pour obtenir des infos. Sortant les cadavres du placard de l’administration Bush (qui n’était décidément pas à quelques crimes près), Dan Jones agit avec ferveur mais ne tarde pas à réaliser que l’administration Obama est farouchement opposée à la publication de ce rapport…

Plus le cinéma américain plonge dans les secrets de son gouvernement et plus l’on réalise l’ampleur des mensonges et des crimes successifs commis par l’Amérique au nom d’une notion bien tordue de la liberté. Encore une fois, pour un film avec un tel sujet, The Report prend comme modèle absolu l’indétrônable Les Hommes du Président, lui empruntant sa mise en scène froide et précise, aux cadrages isolant les personnages au sein de bâtiments grisâtres et informels. Dan Jones, interprété par le toujours impeccable Adam Driver, est ainsi sans cesse filmé comme un individu seul, écrasé par le poids de tous ces couloirs, ces bureaux, ces bâtiments représentant une administration toute puissante contre laquelle il lutte, dégoûté des crimes et du mensonge.

Le scénario de Scott Z. Burns se montre parfaitement fluide (ce qui n’est pas toujours le cas, on n’a pas compris grand-chose à The Laundromat), parvenant à bien nous rendre compte de tout ce qui a mené la CIA à appliquer ces  »techniques d’interrogatoire renforcé », rendant captivant le moindre bout de papier et d’information dégotés par Dan Jones. Le film, grâce à un casting de seconds rôles rapidement identifiables (Annette Bening, Jon Hamm, Michael C. Hall, Maura Tierney, Jennifer Morrison, Ted Levine, Tim Blake Nelson) permet aussi très vite de se repérer en dépit des nombreux noms énoncés et renforce cette fluidité de la narration, certainement plus digeste que le rapport en question, colossal travail de titan que Jones a effectué avec une ferveur de plus en plus intense à mesure que les obstacles s’amoncelaient (écrire le rapport a finalement été presque plus facile que de le faire publier). Il en résulte donc un film classique mais qui, à l’instar de Official Secrets sorti plus tôt cette année, raconte une histoire de première nécessité, emballée avec un beau sens de la mise en scène et du récit, parvenant à ses fins en nous contant son histoire et en nous indignant encore un peu plus sur l’état d’un monde où les puissants font décidément ce qu’ils veulent…

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