Police Frontière : Immigration, rien n’a changé

Disponible depuis quelques années dans un format DVD franchement peu honorable du point de vue de la qualité visuelle, Police Frontière ressort dans une édition blu-ray supervisée par Rimini Editions. Le grain original du film est respecté et laisse place à des couleurs vives et des noirs plutôt propres. La poussière (très abondante dans le film) ne délave plus l’image, on peut enfin apprécier le film de Tony Richardson à sa juste valeur. Sorti en 1982, Police Frontière oppose Jack Nicholson et Harvey Keitel, déjà deux grosses pointures à l’époque. Nicholson sortait pratiquement de Shining (Le Facteur Sonne Toujours Deux Fois et Reds étant passés par là entre temps) et Keitel venait de tourner La Mort en Direct pour Bertrand Tavernier. Deux grosses têtes d’affiche pour un film au discours qui sonne résolument actuel.

Charlie, policier de Los Angeles, est muté à la frontière mexicaine, du côté d’El Paso, afin de surveiller l’immigration clandestine très importante et la corruption de la police locale. Très soucieux de son travail, il fait une entorse au règlement pour aider une jeune mexicaine dont le bébé a été enlevé pour être vendu à un couple stérile. Charlie va devoir affronter ses collègues corrompus pour mener à bien sa mission.

La politique actuelle de Donald Trump et son avis sur l’immigration fait sonner le fond de Police Frontière comme un pamphlet moderne. Près de quarante ans avant l’élection au pouvoir de Trump, Tony Richardson faisait déjà l’état des lieux d’une frontière entre deux pays qui n’a pas changé d’un iota. Il dresse le bilan du quotidien des petites villes limitrophes à la frontière mexicaine, et son constat est plus qu’alarmant. Entre les dizaines d’immigrants qui essaient de passer la frontière chaque jour, les passeurs de drogue, les policiers corrompus qui profitent de la détresse humaine, Police Frontière est un film qui fait réfléchir. Pour ce faire, Richardson utilise une approche très intimiste dans la construction de son film. D’un aspect proche du documentaire, il capte le quotidien avec une sévérité quasiment brute de décoffrage. Nous assistons, impuissants, à toutes les magouilles qui font vivre les collectivités locales. Entre les immigrants qui veulent fuir leur pays dans le but de trouver une vie meilleure, et les policiers qui complotent en n’hésitant pas à vendre les hommes comme une marchandise dans le but de se payer leur rêve américain, Charlie bascule dans une réalité qu’il ne peut plus affronter. Ce rêve américain le dégoûte au plus haut point. Il le subit à travers une épouse matérialiste qui dépense absolument tout leur argent dans des mobiliers futiles et loin des valeurs de Charlie. D’ailleurs, Charlie perd espoir en son pays. Police Frontière est un film lancinant, très contemplatif, qui insiste sur la descente aux enfers que vit son héros. Et au jeu de la folie, Nicholson en est le parfait acteur. Même s’il joue une folie bien plus modérée que dans Shining, il accentue les silences d’une bien belle manière. Chaque son, chaque mot a son importance. Richardson confère un rythme proche de la perfection à son film, c’est une vraie réussite.

Le reste du casting joue énormément sur la qualité du métrage. En fer de lance, Harvey Keitel mène le jeu de la désillusion avec une aisance incroyable. N’omettons pas de citer Valerie Perrine qui est parfaite dans le rôle de l’épouse perfide qui se sert de l’extrême gentillesse de son mari dans le but d’exister. S’il parvient à dégoûter son héros d’être américain, Richardson ne fait pas un film à la gloire du Mexique pour autant. Il montre les malversations des deux pays et les met en corrélation. Il n’y a pas de parti pris, si ce n’est de pousser le héros à s’extirper du malaise ambiant. Richardson fait cohabiter deux cultures et tente d’abattre la frontière qui les sépare pour ne plus faire exister que les hommes dans leur simple condition. Le dernier plan de Police Frontière en sera d’ailleurs très symptomatique. Si pour Richardson, il n’y a plus de frontière entre les personnages, il y a tout de même une fatalité qui demeure et que le réalisateur ne peut nier. Au lieu de mélanger ses personnages et faire naître l’idée d’une nouvelle ère cosmopolite, il les laisse chacun de leur côté frontalier. La haine, la peur et la corruption sont suspendus le temps d’une minute symbolique, mais chacun des personnages semblent conscients que ce n’est qu’un point avant de revenir à la ligne. La symbolique est terriblement forte. Le pessimisme aura raison du fond du film puisque rien n’a changé aujourd’hui, voilà pourquoi Police Frontière sonne encore véritablement actuel.

L’édition blu-ray proposera un bonus de près d’une heure. Une conférence audio enregistrée en 1992 en hommage à Tony Richardson disparu un an plus tôt. On y entend son ex-femme, Vanessa Redgrave, leur fille, Natasha Richardson, et les réalisateurs Lindsay Anderson, Kevin Brownlow et Karel Reisz débattre à la fois autour de Blue Sky, le dernier film de Tony Richardson, et de la carrière de ce dernier. On apprendra plusieurs informations sur qui était Tony Richardson et les discours renverront directement à la morale qui se dégage de Police Frontière. Un joli cadeau que nous offre Rimini Editions pour un film encore trop méconnu que l’on peut enfin apprécier à sa juste valeur.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*