Tiger King : Lâchez les fauves !

C’est une série qui pourrait être drôle si ce qu’elle racontait n’était pas aussi tragique et surtout aussi réel. Documentaire constitué de sept épisodes, Tiger King (Au Royaume des fauves pour son titre français), disponible sur Netflix depuis le 20 mars dernier est devenu un incroyable phénomène mondial, sujet de nombreuses conversations (une série télé sur Joe Exotic avec Nicolas Cage est déjà dans les tuyaux) et d’un buzz retentissant, très certainement aidé par le confinement qui a permis à une grande partie de la population de se pencher dessus en quête de divertissement.

Et du divertissement il y en a dans Tiger King ! Les réalisateurs de la série Eric Goode et Rebecca Chaiklin ont commencé à travailler sur le projet quand ils enquêtaient sur le nombre inquiétants de grands félins possédés aux États-Unis, dépassant le nombre de grands félins vivant en liberté partout dans le monde ! De ces possessions étonnantes (qui n’ont aucune réelle loi de régulation sur le territoire américain) découlent un impressionnant trafic de grands félins et un réel business. C’est ainsi que les réalisateurs de la série ont rencontré Joe Exotic et Carole Baskin, sans se douter qu’ils tiendraient rapidement un sujet bien plus croustillant qui leur prendrait cinq ans de leurs vies.

On a donc d’un côté Joe Exotic, redneck à la coupe mulet, homosexuel déclaré et polygame, propriétaire d’un immense zoo dont il se sert pour flatter son ego surdimensionné. En plus de faire des clips de country improbables et de se filmer en permanence depuis des années (du pain béni pour les réalisateurs que toutes ces images à disposition), l’homme est paranoïaque et irresponsable. D’un autre côté, on a Carole Baskin, fervente militante pour les droits des animaux, rivale de Joe Exotic qui n’a cependant rien de bien héroïque non plus : soupçonnée d’avoir fait disparaître un de ses maris pour récupérer sa fortune (et la façon dont elle en parle à l’écran n’arrange guère les soupçons du spectateur à son égard), elle tient un parc où elle recueille les grands félins qui ressemble énormément à celui tenu par Joe Exotic, à ceci près qu’elle ne les fait pas reproduire et qu’elle ne paie pas ses employés là où Joe les sous-paye et sait les manipuler en les choisissant parmi des types paumés ou des ex-détenus qui seraient bien mal placés pour critiquer leurs conditions de travail…

Entre Joe et Carole, c’est donc la guerre, Joe menaçant régulièrement de tuer Carole (il a fait de nombreuses vidéos où il le clame haut et fort, allant jusqu’à tirer sur un mannequin à l’effigie de Carole) tout en militant farouchement pour qu’elle croupisse en prison pour le meurtre de son mari. Manque de bol, à ce jour, c’est Joe Exotic qui est en prison, condamné à y passer 22 ans pour avoir essayé de payer quelqu’un pour réellement tuer Carole. Charge à laquelle on rajoute l’exécution avérée de plusieurs tigres qui n’étaient pas en fin de vie et qui se font fait tuer de façon totalement gratuite.

Au milieu de tout cet immense charivari se trouvent de nombreux personnages hauts en couleur : un escroc qui ne rougit devant rien et qui est plus préoccupé par le choix d’une jolie nounou pour son bébé que par l’accouchement de sa femme, un autre propriétaire de zoo qui tient le sien comme une secte et se marie avec des jeunes femmes innocentes, un type qui a inspiré le Tony Montana de Scarface, un prétendu homme d’affaires qui a balancé aux fédéraux, un ex-mari recouvert de tatouages, un homme qui a perdu ses jambes à la suite d’un accident de tyrolienne, un employé qui a perdu sa main, arrachée en partie par un tigre… Et de nombreux rebondissements : on y découvre que les maris de Joe étaient hétérosexuels et qu’il a réussi à les garder sous sa coupe en les fournissant en drogue, que l’un d’entre eux s’est suicidé et qu’à l’enterrement Joe n’a rien trouvé de mieux que de parler des testicules du défunt ; on apprend que Joe a tenté de se présenter à la présidence des États-Unis et est arrivé en troisième position quand il a voulu se faire élire gouverneur de l’Oklahoma ; qu’il a perdu la direction du zoo à la suite de malencontreuses opérations financières et qu’il aurait très certainement mis le feu à son propre studio vidéo pour pouvoir contrer le contrat passé avec son producteur.

Autant d’événements improbables qui, cumulés, ne feraient pas long feu dans une fiction tant on se dirait que les scénaristes en font trop. On constate cependant encore une fois que la vie est décidément plus forte que la fiction et si la série aime à en rajouter et à faire dans le sensationnalisme, force est de reconnaître qu’elle nous happe de bout en bout, bien aidés par des personnages fascinants et des situations s’enchaînant à un rythme assez ahurissant. Presque comme s’ils étaient dépassés par leur sujet initial, Eric Goode et Rebecca Chaiklin suivent donc les personnages au fil de leurs coups tordus et des tirs qu’ils se font dans les pattes. Après un premier épisode hilarant d’incongruité, Tiger King déploie donc sa toile insidieuse et fascine jusque dans ses recoins les plus sombres. Car ici le trafic animal et la protection de ces grands félins est condamné au second plan par des personnages s’accaparant le devant de la scène tel que cela s’est réellement passé. Des images d’archives montrent un tout jeune Joe Exotic ouvrir son parc et déclarer qu’il s’agit d’un havre de paix pour les animaux et qu’il ne les fera pas reproduire. Mais nourrir des grands félins coûte énormément cher. Le meilleur moyen d’en gagner ? Les faire reproduire et revendre les petits. Un engrenage infernal où le pognon et l’ego finissent par compter beaucoup plus que ces espèces protégées, utilisées ici pour ramener du fric ou des gens dans son lit.

Malgré toute cette avidité de sensationnalisme (la limite de la série qui aurait sûrement gagnée à être plus nuancée mais qui, de cette façon, est tout simplement palpitante), Tiger King a le mérite de laisser la parole à tout le monde et il est tout simplement effarant de constater que la plupart de ces personnes sont des abrutis finis passant leur temps à se critiquer les uns les autres alors qu’ils sont faits du même bois (tous les propriétaires de la série, de Carole Baskin à Jeff Lowe en passant par Doc Antle sont à mettre dans le même panier tant ils sont avides de pouvoir là où les employés sont les plus touchants même quand ils ont la bonne idée de fumer en remplissant un bidon d’essence !). Se dessine malgré tous ses défauts et sa personnalités clairement toxique un portrait presque touchant de Joe Exotic, ce type paumé en mal d’amour et de pouvoir. Quand on le voit préparer à manger à Thanksgiving pour de nombreuses personnes ou quand on le voit exprimer les larmes aux yeux ses regrets à l’idée d’avoir fait passer à des chimpanzés dix ans de leurs vies dans des cages séparées, on devine une sensibilité et malgré toutes ses crasses et actes criminels, on aurait presque de la pitié à son égard. Une chose est sûre en tout cas, c’est que si lui a fini en prison, il devrait en être de même pour une bonne partie des protagonistes de cette série de fou furieux qui met en avant les pires bassesses humaines et nous fait dire que les fauves qui sont en cage sont souvent loin ceux qui méritent de l’être…

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