Capone : Plongée dans une folie ordinaire

Voilà cinq ans que nous n’avions plus entendu parler de Josh Trank. Après nous avoir surpris avec son premier long-métrage, Chronicle, en 2012, il avait essuyé les affres de la grande machine hollywoodienne pour son second film. Son reboot des 4 Fantastiques sort en 2015 sur nos écrans après une production chaotique où Trank s’est vu déposséder de son œuvre. Charcuté dans tous les sens, avec des scènes retournées par la production à la hâte quelques mois avant la sortie du film, il a reçu des critiques extrêmement négatives. Trank, désabusé, avait même brisé la loi du silence qui impose aux acteurs et réalisateurs de ne pas dire du mal d’un film lors de sa promotion en avouant que la version proposée en salles était tout simplement saccagée. Un terrible coup de massue comme il y en a beaucoup à Hollywood. Si l’histoire nous a appris que certains réalisateurs ont appris de ces leçons et en ont tirés le meilleur d’eux-mêmes par la suite (coucou David Fincher), il est encore trop tôt pour savoir si Josh Trank aura les épaules assez solides pour imposer sa patte dans la sphère hollywoodienne. Bien que le projet Capone soit mis sur les rails dès 2016, il faudra attendre deux années avant que le tournage ne débute. Tom Hardy était retenu par le tournage de Venom (autre film charcuté par sa production) et désirait vraiment incarner Al Capone dans la version de Trank. Le film sera tourné à la Nouvelle-Orléans au printemps 2018. Il faudra attendre encore deux ans avant que le film daigne sortir. À l’heure actuelle, il n’a été proposé qu’en VOD aux États-Unis en raison de l’épidémie de COVID-19. Nul ne sait s’il verra le jour dans nos salles à leurs réouvertures, mais nous avons eu, tout de même, la chance de voir le film. Il apparaît nettement que Capone est un film qui cherchera son public en salles. Œuvre intimiste au plus haut point, il faut être averti de quoi il en retourne avant de se lancer dans Capone, sans cela, il en déroutera plus d’un, c’est certain.

À la fin des années 1930, Al Capone est libéré sous caution après huit ans de prison pour fraude fiscale. Atteint de neurosyphilis, le gangster est très mal en point, physiquement et mentalement, malgré son jeune âge. Il sombre en pleine démence, hanté par son passé.

Capone aurait sa place sur Netflix afin de trôner fièrement juste à côté de The Irishman, avec lequel il partage pas mal de points communs. Si vous vouliez voir un film de gangster dans la tradition du genre, c’est raté. Capone nous parle de la chute d’un homme qui succombe à sa maladie. Drame humain emplit de solitude et de regrets, il évoque le deuil, la catharsis et la paranoïa durant près de deux heures. Josh Trank met en scène la folie avec une vision particulière. Il immerge le spectateur au cœur des cauchemars de son héros et nous fait vivre son calvaire. Sans avoir l’envergure « fresque testamentaire » qui collait à The Irishman, il s’en rapproche dans les questions qu’il soulève. Que reste-t-il du gangster ? Que devient l’homme en fin de vie ? Mourra-t-il en pleine gloire ou dans l’indifférence la plus totale ? Trank démystifie la figure du gangster pour la réduire à sa simple condition humaine. Tel Al Pacino en fin de parcours dans Le Parrain 3, Tom Hardy offre un Al Capone emplit de honte, de misérabilisme, de haine et de regrets. Flirtant entre le pathétique et le parodique, il donne une image du fameux gangster que nous n’avions jamais eu au cinéma. La métamorphose est saisissante. Si les prothèses font leur effet, n’oublions pas le talent de Hardy à se mouvoir dans la peau de cet homme grandement malade. Avec une voix et un accent italien plus vrais que nature, il ne joue pas son rôle, il l’incarne. Sa facilité à se mouvoir dans la peau d’un autre ne date pas d’hier, souvenez-vous de Bronson. De plus, il détaille à merveille tous les symptômes inhérents à la neurosyphilis qu’on le croirait réellement atteint. Tom Hardy s’offre un rôle à Oscar, bien que la plupart des critiques américaines soient en sa défaveur. Elles dénoncent l’aspect pathétique comme une mauvaise parodie du Saturday Night Live et ne retiennent que l’incontinence du personnage pour appuyer leurs propos. A-t-on vu le même film ? Est-ce une manœuvre pour encore taper impunément sur Josh Trank et lui faire payer son mécontentement envers Les 4 Fantastiques ? Sans parler de complot, il doit y avoir un peu de vrai dans tout cela…

Capone est bel et bien à des années de ce qu’on pourrait attendre d’un film de gangster. Il faut dire que ça ne servait à rien de refaire ce que Brian De Palma avait fait en 1987 avec Les Incorruptibles, tout y était tellement parfait. Capone se regarde comme les conséquences de ce que De Palma mettait en scène à l’époque. Avec un rythme de croisière particulièrement lent, qui prend le temps d’admirer la décrépitude de son personnage dans un cadre ensoleillé, voire idyllique, qui n’est pas sans rappeler les films de Paolo Sorrentino, Capone prend à la gorge. On se sent particulièrement étouffé face à ce personnage qui n’arrive pas à se défendre contre les méandres de sa mémoire. On retiendra la mise en image inventive d’un AVC où se mélangent une personnification de la maladie d’Alzheimer avec une violence brutale que n’auraient pas reniés les Tarantino et autres Kubrick. D’ailleurs, on pensera fortement à Kubrick pour ce qui est du traitement de la folie qui empoigne Al Capone. Josh Trank déguise à peine son hommage à Shining et nous cueille d’une bien belle manière. Et puis, c’est réellement un plaisir de voir Tom Hardy donner la réplique à un casting en or parmi lequel on retiendra Linda Cardellini, Kyle MacLachlan ou encore Matt Dillon. Capone est un film simple, mais complexe par les questions qu’il soulève. Comment montrer la maladie ? Comment nous faire ressentir le mal-être profond qui consume le héros ? Trank n’en fait jamais une figure héroïque et ne glorifie jamais le passé d’Al Capone. Il ramène juste son personnage à sa simple condition d’homme que sa mémoire se charge de faire payer un passé mouvementé.

Capone est une réussite. Josh Trank livre un film intimiste et terriblement mature aidé par un Tom Hardy au summum de son talent. On admire, impuissant, la déchéance d’une crapule sans ressentir la moindre empathie, mais avec une douleur qui se vit à une plus grande échelle que ce qui arrive au personnage. On ne peut s’empêcher de s’inquiéter sur ce que nous ferions à la place des proches. La question essentielle du film se pose ainsi : serions-nous capable d’endurer une telle folie pour l’amour que nous portons à notre famille ? Sous l’égide de la figure emblématique que fut Al Capone, Josh Trank vient, en réalité, interroger le spectateur sur ses capacités à pouvoir accompagner ses aînés en fin de vie. Avec une telle maturité dans le discours, Capone mérite toute votre attention.

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