Frissons : Bêtes de sexe

Éditeur polyvalent dont le rythme de sorties par an continue d’être impressionnant, ESC Distribution va bientôt nous régaler en sortant le 3 juin prochain dans une édition Blu-ray (collector ou non, c’est au choix) Frissons, troisième film de David Cronenberg. En ces temps troublés d’épidémie, autant dire que la sortie est redoutable et pertinente, permettant de redécouvrir les débuts d’un cinéaste explorant déjà les thématiques qui émailleront le restant de sa carrière.

En effet, Frissons se penche sur le début d’une épidémie transformant les corps en profondeur. Cobaye d’une expérience de greffe par un médecin troublé, une jeune femme se fait assassiner dans son appartement, située dans un grand immeuble, résidence chic et moderne. Or la jeune femme avait plusieurs amants dans la résidence et le parasite qu’on lui a greffé est hautement contagieux, transformant tous ceux qui le contractent en maniaques sexuels. Très vite, la vie dans la résidence va tourner au cauchemar…

Tout Cronenberg est déjà dans Frissons : les corps qui se transforment, la névrose intérieure des personnages, la notion de transmission (Frissons forme ainsi avec Rage un farouche diptyque sur la contagion), les médecins troubles, la notion de complot et le regard d’une acuité implacable qui voit bien en-dessous des couches de la civilisation pour révéler la véritable nature humaine (ici la résidence est bon chic bon genre mais trois hommes y habitant étaient les amants de la jeune femme qui se fait assassiner au début du récit.) Le cinéaste, dont le budget est très léger (185 000 dollars canadiens environ), va faire au mieux avec ce qu’il a, utilisant son décor avec une inventivité certaine et sachant surtout capter la violence et la tension animant les personnages dans ce lieu clos et aseptisé.

Certes, outre une Barbara Steele toujours aussi charismatique à l’écran, le casting rassemblé confirme le budget léger de la production. Tous les acteurs manquent de nuances et leurs outrances de jeu dans les scènes les plus dramatiques pourraient être hilarantes si Cronenberg ne parvenait pas à maintenir la barre grâce à une mise en scène nerveuse, laissant apparaître toute la férocité des infectés (même s’il n’est pas encore assuré sur toutes les scènes). L’écriture est tout aussi légère que le jeu des acteurs, Cronenberg étant visiblement plus inspiré par les grandes idées de son scénario (les infectés devenant des maniaques sexuels, l’immeuble moderne aux nombreux étages qui vient étrangement faire penser au roman I.G.H de J.G. Ballard paru la même année et dont Cronenberg adaptera Crash des années plus tard) que par le détail des péripéties et la psychologie des personnages.

Frissons, série B totalement assumée, parvient malgré tout à transcender son simple statut de film d’horreur (comme toujours avec le cinéaste) pour devenir une réflexion sociologique brutale sur la sexualité. Selon un des personnages du film, tout est érotique et toute personne faisant l’amour est  »malade ». Scientifique de formation, Cronenberg nous montre tout ça de façon clinique et se penche sur les raisons poussant les gens à coucher ensemble tout en faisant l’évidente analogie entre sexualité et parasite (celui-ci ayant d’ailleurs une forme ouvertement phallique). En 1975, la libération des mœurs est bien présente dans la société (le film nous parle ouvertement d’homosexualité et de libertinage) et Cronenberg semble anticiper l’épidémie de SIDA qui fera des ravages dans les années 80.

Son regard froid et pertinent lui attirera évidemment les foudres des critiques et de la censure alors même que Frissons ne comporte aucune scène de sexe explicite. Mais la façon dont il décortique le sexe et nous le montre catalyseur d’une telle férocité épidémique avait de quoi en refroidir plus d’un. Ironiquement, le film fut financé en partie par le National Film Board of Canada, une institution d’état (ce qui fera dire à un critique dans un article que les gens devraient savoir combien le film est mauvais puisqu’ils l’ont financé avec leurs impôts). Condamné à passer dans les cinémas de minuit, Frissons ne fait pourtant que marquer les débuts matriciels du parcours du cinéaste dont la carrière se poursuivra avec une fascination inchangée pour les mêmes thèmes mais avec une maîtrise de plus en plus grande.

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