Gangs of London : Et maintenant, on veut des câlins !

Depuis son phénoménal The Raid 2, sommet de film d’action moderne ayant posé les bases de ce qu’allait devenir le genre, entraînant de nombreux avatars, que ce soit en Indonésie avec les films des Mo Brothers, faisant dans la surenchère graphique, ou bien chez les Américains et leurs films d’action stylisés et violents, le Gallois Gareth Evans s’est fait un peu plus discret, n’ayant réalisé qu’un seul film depuis. Ayant fait comprendre qu’un troisième épisode de son diptyque n’était pas à l’ordre du jour, ses fans étaient quasiment en deuil, car il est difficile actuellement, malgré l’offre assez grande en la matière, de trouver réellement de quoi se faire plaisir si l’on veut de la baston bien saignante et chorégraphiée avec style. Tout ça pour en arriver au fait que l’annonce d’une série créée, supervisée et en partie réalisée par le metteur en scène des films sus cités n’était pas sans créer une excitation presque dangereuse pour la santé. Vendu presque comme un The Raid 3 situé à Londres, avec une grande diversité dans la représentation des diverses mafias, et une volonté d’intrigue à grande échelle, tout était permis en terme d’attente démesurée.

Finn Wallace est depuis 20 ans le boss d’une organisation criminelle faisant transiter des milliards de livres chaque année. Patriarche suscitant la crainte de tous, il fait tourner tout ce business, et tout le monde s’en accommode, dans un mélange de peur et de respect. Le jour où il est assassiné, son fils Sean est le mieux placé pour prendre sa relève, et va se donner comme mission première de retrouver les responsables de la mort de son père. Et pour arriver à ses fins, tout sera permis. Ce passage de flambeau a bien entendu de lourdes répercussions à l’international, d’autant plus que ce dernier se révèle très vite incontrôlable, ne possédant pas l’expérience de son paternel et créant très vite des conflits entre les différents groupes rivaux, ce qui entraînera une succession de coups bas, trahisons, et affrontements impitoyables pour trouver à la fois les coupables du meurtre de son père, et pour se débarrasser des éléments encombrants. Il sera aidé par Elliot Finch, dont il a du mal dans un premier temps à déterminer s’il peut réellement lui faire confiance…

Exposé de la sorte, on est bien évidemment dans le schéma classique de l’affrontement entre groupes rivaux, une intrigue criminelle puisant sa source chez de glorieux prédécesseurs, mais dont le format sériel permettra de partir dans des directions amples et pas toujours prévisibles. Débutant de manière classique, avec la présentation des enjeux et des divers protagonistes, on est d’emblée plongés dans un univers à la fois opaque et familier, avec ses règles propres, comme si ces personnages, agissant en dehors de toute moralité, évoluaient dans un univers parallèle au nôtre. En effet, très rapidement, on se rendra compte que les enjeux agitant tout ce petit monde se situent en marge de toutes les règles communément acceptées dans notre société, comme si celles-ci ne s’appliquaient pas à eux, et que même la police se montrait impuissante. C’est pour ça que pendant une majeure partie de l’intrigue, nous ne suivrons que des criminels, comme si la police n’existait pas, ou en tous les cas ne possédait pas les armes pour lutter face à ça. Réalisé par Gareth Evans lui-même, le pilote d’une durée massive, pose en quelque sorte ce qui constituera la charte visuelle et tonale de la saison, prenant le temps de poser son intrigue et de créer un climat lourd comme une chape de plomb, ne faisant aucune concession. Lorsque les coups commencent à pleuvoir, il n’y a même plus de place pour la grâce visible dans les The Raid. Les protagonistes n’étant pas des artistes martiaux, leurs affrontements se révèlent beaucoup plus bruts de décoffrage, le but étant avant tout de fracasser son adversaire. Peu de place pour la beauté du geste, donc, mais des combats misant sur l’efficacité de chaque coup, ce qui n’empêche pas Evans, une fois de plus, de faire preuve de beaucoup de créativité concernant ses chorégraphies.

S’il réalisera également le 5ème épisode, d’ailleurs le sommet de cette première saison, le reste sera assuré par Corin Hardy (Le sanctuaire, La nonne) et par notre Xavier Gens national. Ces derniers s’en sortent bien formellement, agissant avant tout en artisans se mettant au service de la vision de Evans, et se faisant plaisir par fulgurances, chaque épisode comportant au moins un morceau de bravoure. Néanmoins, la nécessité de tenir la route sur toute une saison, et de créer suffisamment de pistes pour de futurs développements, entraîne forcément excès et tâtonnements, et force est de constater, de notre côté, que globalement cette première saison ne tient pas totalement ses promesses.

Vous lirez ci et là que la série est ultra violente dépassant tout ce que l’on avait pu voir dans le genre auparavant. Nous préfèrerons de notre côté rester plus mesurés concernant cet aspect-là, non que le programme soit timoré en la matière, mais parce que cela nous semble bien racoleur de réduire le tout à cet unique aspect, le simple fait de croire que des phrases choc promettant un déchaînement de barbarie s’avérant racoleur au possible et réduisant le public potentiel de la série à des sauvages avides de violence. Oui, celle-ci est destinée à un public averti, n’ayant pas froid aux yeux, et n’ayant pas peur des dégâts corporels divers et variés, oui Gareth Evans est toujours aussi fasciné par le spectacle de la violence et des corps abîmés/martyrisés. Cependant, si cette violence bien concrète fait partie de l’ADN de la série, les personnages laissant souvent exprimer leur rage de manière totalement démesurée, on peut tout aussi bien considérer que cette sauvagerie extrême n’est pas gratuite et n’est pas pensée, au contraire des films précédents du cinéaste, comme pur motif de divertissement. Présentant des personnages ouvertement décrits comme vils et n’agissant que pour eux-mêmes, il n’est aucunement question de nous les rendre proches et de nous faire exulter face à leurs méfaits. Il apparaît rapidement évident que hormis Finch, dont nous ne pouvons rien dire ici sous peine de gâcher ce qui constitue le cœur du personnage, mais qui est clairement là comme caution morale dans un monde pourri jusqu’à la moelle, aucun autre protagoniste ne pourra provoquer le moindre début d’empathie chez le téléspectateur. Un pari risqué lorsque l’on a l’ambition de maintenir l’attention de ce dernier durant plusieurs saisons, mais finalement la preuve que derrière la violence décomplexée à l’œuvre sur tout ce qu’il a pu produire jusque-là, le cinéaste n’est pas qu’un irresponsable jouissant à filmer la violence extrême, et qu’il pense celle-ci de manière beaucoup plus morale ici, n’hésitant pas à s’aventurer dans des zones ambiguës, et poussant certains personnages dans leurs retranchements.

Et pourtant, malgré cet effort dans la caractérisation des personnages, certains s’avérant rapidement beaucoup plus complexes que ce que l’on aurait pu croire de prime abord, quelque chose coince et empêche de se plonger dans la série comme on l’aurait voulu. Peut-être est-ce tout simplement la façon dont elle a été vendue, nous promettant un spectacle gore et galvanisant, alors que le ton général reste très premier degré, quand bien même cet univers est totalement éloigné de la moindre véracité. Toutes ces ondes négatives, ces personnages tous plus pourris les uns que les autres ne peuvent compter sur un quelconque second degré qui nous ferait dire que oui, tout ceci n’est bien que de la fiction. Alors qu’ils évoluent dans un univers comme on l’a dit, obéissant à ses propres lois, et permettant donc de s’aventurer dans des zones extravagantes, on sent une volonté de tenir un discours sur le cercle de la violence, et au contraire de Banshee, par exemple, autre série contemporaine beaucoup citée dans les diverses critiques alors que les deux n’entretiennent que peu de rapports, on cherche encore la moindre trace de l’esprit bande dessinée à l’œuvre dans cette dernière. Il manque également peut-être un personnage aussi fort que Lucas Hood, même si une fois encore Elliot Finch s’avère le plus intéressant, et que les derniers épisodes se focalisent essentiellement sur son point de vue.  

On se retrouve donc à suivre le tout avec une certaine indifférence, qui n’empêche pas de soudaines fulgurances, soit en terme d’action, soit concernant l’évolution dramatique, notamment autour de la personnalité de Sean Wallace, d’abord jeune chien fou, puis finalement quelque peu dégoûté par son environnement, ainsi que son frère, figure tragique peut-être pas assez exploitée. Mais que dire de la mère de famille, semblant perdue suite à la mort de son mari, figure autoritaire faisant tourner tout ce petit monde, mais dont on découvre au fur et à mesure des révélations que l’ambiance familiale n’était pas à l’harmonie et que quelques secrets bien sordides alimentaient rancœurs jusqu’à l’intérieur du cocon familial, ce qui a le mérite d’apporter une réelle densité par instants et de justifier la psychologie de Sean. Un acte initial sur lequel semble reposer la suite des évènements, mais pour revenir sur la personnalité de la matriarche incarnée par une Michelle Fairley glaçante, difficile de s’attacher à elle, dont l’écriture un peu sommaire de son personnage n’arrange rien. Alors qu’au départ, on pourrait penser qu’avec la mort de son mari, objectivement une enflure qui ne peut réellement manquer à qui que ce soit, elle pourrait peut-être gagner en force, le fait est que l’on ne peut que rester interdit face à certains de ses actes, dont on ne dira rien, mais qui semblent totalement irréfléchis et font basculer le tout dans le sordide le plus déplaisant.

Naviguant donc sans cesse entre spectacle, considérations psychologiques plombantes, pas aidées par un rythme en dents de scie, violence parfois jouissive, parfois gratuite et fatigante, le tout a du mal à se trouver une unité et à passionner sur la durée, semblant parfois ne plus savoir comment se dépêtrer de ses innombrables personnages arrivant toujours plus nombreux comme pour relancer l’intérêt de manière factice. Ce qui rend les derniers épisodes certes assez ludiques dans leurs rebondissements, mais plutôt incongrus par rapport au ton sérieux de la première moitié de saison, et basculant dans un délire presque conspirationniste, ouvrant certes des pistes intéressantes pour la suite, mais dont on ne sait pas trop si l’on a réellement envie de voir plus loin. Malgré ses qualités, explosant durant un cinquième épisode anthologique, où le déluge de violence tout sauf gratuit sert avant tout à démontrer toute l’absurdité des règles régissant ce monde, comme si tous ces gens mouraient réellement pour rien, ce qui n’exclue pas ces prouesses de mise en scène surexcitantes dont Evans a le secret ; on a du mal à voir où tout cela voulait nous mener, ni même si ses instigateurs savaient eux-mêmes ce qu’ils voulaient réellement faire. On touche là les limites du format sériel, lorsque l’obligation de tenir l’attention du téléspectateur entraîne circonvolutions narratives parfois aberrantes, et pas toujours cohérentes dans le style, ce qui empêche le tout d’acquérir une réelle densité au-delà d’épisodes plus réussis que les autres. Tout cela manque clairement d’unité et il n’est pas certain qu’au-delà de l’impact immédiat de certaines scènes, on en garde beaucoup en nous au-delà du visionnage. Ce qui n’empêche nullement le savoir-faire, et notre envie de découvrir les prochains travaux de Evans, on l’espère à nouveau au cinéma.

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