La Plateforme : Verticalité de la chaîne alimentaire

Sorti sur Netflix le 20 mars dernier, La Plateforme a été accompagné d’un joli buzz, le film séduisant par son high-concept malin et efficace, à même de titiller les esprits les plus aventureux. Le succès est étonnant, ce qui n’est pas une première sur Netflix dont les acquisitions les plus inattendues (7. Koğuştaki Mucize, remake turc d’un film sud-coréen a connu un vrai carton) peuvent parfois se retrouver dans le top 10 des programmes les plus regardés aux côtés de choses plus attendues comme la nouvelle saison de La Casa de Papel.

La Plateforme, réalisé par l’espagnol Galder Gaztelu-Urrutia, repose sur un principe aussi simple que redoutable qui doit autant au Cube de Vincenzo Natali qu’au Snowpiercer de Bong Joon-ho. L’intrigue se passe dans une prison verticale. À chaque étage de cette prison se trouve une cellule avec deux prisonniers, chacun d’entre eux ayant pu choisir un objet à y emmener. Chaque jour, une plateforme chargée de nourriture descend chaque étage, partant du premier pour arriver au dernier. À chaque étage, la plateforme s’arrête et les détenus peuvent se bâfrer pendant un temps limité avant que celle-ci ne poursuive sa descente. Tous les mois, les détenus sont changés d’étage de façon totalement aléatoire : on peut être au niveau 5 et bien manger un mois et se retrouver au niveau 154 à ne rien manger le mois suivant.

Nouveau venu un poil idéaliste (il a choisi d’amener un exemplaire du Don Quichotte de Cervantes comme objet) qui s’est porté volontaire pour un enfermement de six mois afin d’obtenir un mystérieux certificat, Goreng va très vite être confronté à la dure réalité de ce système implacable, exploitant ce qu’il y a de pire dans la nature humaine. En effet, Goreng ne tarde pas à réaliser que tout le monde dans la prison pourrait survivre si les détenus des premiers étages se rationnaient, laissant à chacun une part équitable des plats proposés tous les jours. Dans cette prison, métaphore peu subtile mais farouchement efficace du capitalisme, faire changer d’avis les détenus des niveaux supérieurs est impossible et l’on ne peut que dissuader les détenus des niveaux inférieurs de ne pas se goinfrer en menaçant de déféquer sur leur nourriture. Ceux du haut profitent impitoyablement de leurs privilèges, dilapident les ressources de façon inconsidérée sans jamais penser à ceux du bas, créant un engrenage terrible contre lequel rien ne semble pouvoir faire effet puisque même un détenu située à un niveau moyen continuera de détester ceux du niveau supérieur tout en méprisant ceux des niveaux inférieurs. Triste constatation teintée d’une vérité amère, Galder Gaztelu-Urrutia nous proposant là une vision exacerbée mais parfaitement réaliste du monde moderne où les humains pervertissent un système qui pourraient profiter à tout le monde.

Sans pour autant donner de leçons, le cinéaste expose habilement son problème et file la métaphore sans avoir peur de rien, ni de verser dans quelques saillies gores, ni d’appuyer un peu trop sur les symboles de son récit. Ainsi, difficile de ne pas voir dans le personnage de Goreng une itération de Don Quichotte (il partage d’ailleurs ses traits physiques avec le héros de Cervantes), se battant contre le système de cette prison avec une chance de succès aussi favorable que celle de Don Quichotte quand il affronte les moulins à vent. Seul personnage apparaissant véritablement humain, lucide et rempli de compassion, Goreng est voué à se heurter à des personnages moins recommandables que lui à la vision bien plus sombre.

Le cinéaste optimise son idée de petit malin et sait parfaitement utiliser sa caméra pour illustrer le calvaire de son personnage, étouffé et pris au piège de cette prison qui semble sans fin (le décor est sobre mais étouffant). Parfaitement tendue, la mise en scène est nerveuse et offre quelques moments marquants à la violence percutante. Dommage que comme tout film à concept, le récit soit inévitablement amené à s’épuiser. Comme s’il ne savait pas comment clore son film, Gaztelu-Urrutia en vient à sombrer dans un symbolisme un peu lourd dans la deuxième partie du récit, choisissant de ne pas vraiment trancher sur certaines questions. Laisser planer le doute permet certes de se livrer à quelques interprétations sur le sens profond de La Plateforme, mais les symboles utilisés par le cinéastes manquent cruellement de subtilité, mettant à mal un scénario que l’on aurait voulu plus radical encore. Le titubement de ce dernier acte ne doit cependant pas faire oublier la belle prouesse du film qui rend tangible et parfaitement percutant un concept en disant long sur la nature humaine, de quoi rendre la vision du film suffisamment pertinente à condition d’être prêt à en accepter son inévitable constat : on se prendra toujours sur la tronche la merde de ceux d’en haut.

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