Chez Moi : Recherche Appartement désespérément

Il aura fallu des critiques dithyrambiques et certains retours enthousiastes d’un entourage en plein confinement pour prêter notre attention à ce nouveau film disponible depuis le 25 mars sur la plateforme Netflix qu’est Chez Moi. Avouons que malgré une affiche accrocheuse, nous n’avions que peu confiance au vu du titre choisi pour le territoire français que le laissait suggérer son titre original qu’est Hogar.
En soit «Foyer» en français, plus spécifiquement l’appartement de Javier, publiciste au chômage qui cherche désespérément un poste quitte à s’emmêler dans les fonctions et les intitulés. L’homme est aux abois pour ne pas laisser filer son rythme de vie luxueux entre un vaste appartement à Barcelone, une gouvernante et sa berline allemande.
Mais Javier chute inévitablement, devant restreindre son cadre et se retrouvant dans un minuscule appartement, sa femme travaillant dans un magasin de vêtement et son fils inscrit à l’école publique. 

Nous assistons à la déchéance d’un homme qui pourtant s’accroche en pénétrant dans son ancien appartement et au cœur de la vie des nouveaux occupants. Javier déclenche alors un jeu machiavélique. Nous arrêtons ici pour ne rien gâcher de ce thriller féroce sur le besoin d’appartenance à une classe sociale, l’image renvoyée et ce besoin de reconnaissance. Le film rebondit méchamment sur la chute sociale de l’Espagne au début des années 2010 et le traumatisme créé sur sa population depuis. L’Espagne remonte lentement la pente, à l’image de Javier qui va employer les grands moyens pour reconquérir son statut.
Chez Moi est un film noir, d’une obscurité que seuls les Espagnols peuvent se permettre au cœur d’un cinéma émancipé nous permettant une succession de chefs-d’œuvre à l’image de El Reino, La Colère d’un Homme Patient ou Que Dios Nos Perdone. Chez Moi (Hogar) est de la trempe de cette énergie qui bouscule actuellement le cinéma espagnol. D’une violence physique et psychologique rare, les Frères Pastor n’hésitent pas à employer les grands moyens et de brosser des personnages d’un cynisme rare allant jusqu’au bout de leur sombre perspective. Ils sondent l’âme humaine n’oubliant pas la chance dans la conquête de cet homme manipulateur et coriace, malin et dangereux pour mieux retrouver sa vie publicitaire passée.

Chez Moi débute par une publicité racoleuse sur le don d’une vie de rêve et le besoin inévitable à chacun de la vivre. Les Frères Pastor (Infectés/Les Derniers Jours) caricaturent notre monde façon Paul Verhoeven avec Robocop pour mieux nous acculer dans nos retranchements humains nous faisant douter de nos moindres penchants. La luxure est morbide dans ce film fou et intense qui nous accroche à notre fauteuil à suivre ce cher Javier manipulant son entourage à la manière de l’éloge d’un champagne avec un chapeau de Noël. Ce n’est plus un produit qu’il se met à vendre dans la dernière partie du film, mais lui-même tel un tigre en chasse qui ne lâchera rien. Un fauve en liberté et en chasse d’une position dans la société qu’il va conquérir tel un animal avide d’argent capable de faire couler le sang. Pourtant, il arrivera par bribe à se montrer humain, notamment face à un homme plus hideux dans l’âme que lui. Il a certains principes et s’évertuera à l’effacer de la chaîne sociale pour être tranquille et protéger un petit ange auquel il s’attache. Vénalement ou pas, telle est la grande question d’un film impétueux et vif qui ne s’arrête jamais. 

Dans cette entreprise, les Frères Pastor sont bien aidés par deux comédiens d’une intensité rare. La nouvelle génération est en cela une bénédiction. Si l’on parle beaucoup d’Antonio De La Torre, n’oublions pas Mario Casas vu récemment dans le frénétique Toro de Kike Maillo, ici en position de victime et bien plus en retrait que Javier Gutierrez, vu l’année dernière en entraineur de basket déchu dans Champions ou en inspecteur de police dans La Isla Minima d’Alberto Rodriguez. Il incarne dans Chez Moi le fameux Javier, psychopathe inavoué, pourtant disgracieux, mais qui arrive à ses fins par un charme mystique ravageur. Il trouve, grâce aux Frères Pastor, un rôle sur-mesure, l’un des meilleurs de sa grande carrière longtemps confiné derrière la frontière ibérique.
Avec la force de frappe de la plateforme Netflix aujourd’hui et l’émancipation d’une jeune génération de réalisateurs espagnols ayant les dents longues, nous allons pouvoir assister à l’explosion d’un cinéma furieux et enthousiasmant allant toujours dans la noirceur la plus crasse, à savoir là où les autres cinémas n’osent jamais aller.

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