Les Misérables : Jusqu’ici tout va bien ?

Un des films incontournables de la fin de l’année dernière, Les Misérables vient de pointer le bout de son nez sur nos plates-formes VOD. L’occasion pour nous de revenir sur le plus gros succès qu’a connu Le Pacte, la société de distribution du film. Premier long-métrage réalisé par Ladj Ly, Les Misérables est un projet qui a été longuement réfléchi et qui a connu moult étapes avant d’aboutir à sa forme définitive. D’abord un fait divers puisqu’il s’inspire d’une histoire vécue par son réalisateur lui-même. Il avait filmé une bavure policière survenue au sein de sa cité. De ce fait tragique, il en tirera un court-métrage pour le compte du collectif Kourtrajmé intitulé Les Misérables. Mais les ambitions de Ladj Ly étaient plus grandes et il souhaitait en tirer un récit plus long, plus dense, avec des tenants et aboutissants plus étoffés. C’est ainsi que naquit Les Misérables sorti en fin d’année dernière dans nos salles.

Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors que l’équipe se trouve débordée lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes.

Un choc, un uppercut, un film coup de poing… toutes les éloges que vous avez pu lire concernant Les Misérables s’avèrent vraies. Le film de Ladj Ly nous propulse sans crier gare au cœur d’un quotidien ordinaire où la violence gangrène absolument tout. Tendu sur un fil sur le point de céder, Les Misérables est un film à la tension permanente où le débordement et l’implosion ne sont jamais bien loin. Que ce soit du côté de Chris, le flic nerveux qui joue les gros durs, les anciens de la cité, à la fois respectés et craints, ou encore les enfants, incontrôlables et imprévisibles… tous les éléments se mélangent en attendant la moindre petite étincelle qui ferait tout voler en éclats. Le parallèle avec La Haine de Mathieu Kassovitz a été évoqué plus d’une fois. Et même s’il part d’une bavure policière et possède une morale quasi identique, ce serait réducteur de comparer Les Misérables à un ersatz de La Haine. Surtout que le film, dans sa violence la plus brute, tient plus de Ma 6-T Va Crack-er de Jean-François Richet, sans être aussi fataliste et pessimiste dans sa réflexion finale pour autant. Ladj Ly invite le spectateur à se questionner des deux côtés antagonistes qui s’affrontent dans son film, là où les deux autres films susmentionnés avaient un parti pris beaucoup plus fondé. Les Misérables met en lumière un dialogue de sourds. Une réalité avérée malheureusement. À l’instar de Chris qui utilise son assermentation pour s’autoriser toutes les bavures possibles et où ses interlocuteurs se cachent derrière leur propre code d’honneur. Qui a raison et qui a tort ? C’est le dilemme qui habitera Stéphane tout au long de sa première et éreintante journée. Sans pour autant adouber son héros, Ladj Ly le façonne de manière à ce que le spectateur ait un repère sur ce que devrait être la justice. Une méthode plus à l’écoute de l’entourage, une méthode ferme, mais pas radicale, ce qui lui vaudra de s’en sortir à un moment critique et évitera que tout bascule dans l’horreur. Malheureusement, avec ce personnage, Ladj Ly montre également l’inefficacité sur le long terme des méthodes qu’il applique. Si les anciens, plus réfléchis, semblent avoir appris de leurs erreurs et aimeraient faire confiance au corps policier, les plus jeunes, impulsifs, ne l’entendent pas de cette manière.

Les Misérables a cette force de ne jamais faire de procès d’intention à aucun des partis. Le film ne se positionne jamais fermement dans une direction ou dans une autre. En se refermant sur une citation des Misérables de Victor Hugo, il fait le constat amer que tout reste encore à faire pour endiguer les violences dans ces quartiers qui ne demandent qu’à être autant considérés que n’importe quel autre quartier de France. « Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs. » Ces quelques mots résonneront encore longtemps après le visionnage du film. Nous en sommes éjectés avec moult questionnements qui viennent nous assaillir ensuite. D’autant que l’approche documentaire du projet, caméra à l’épaule, renforce l’immersion proposée dans le film. Les plans filmés en drone permettent d’approfondir l’envie d’évasion, ce besoin d’air qui fait du bien autant aux spectateurs qu’aux protagonistes. Cette caméra omnisciente devient un personnage à part entière de l’histoire. Les Misérables appuie une méthode où le voyeurisme devient la seule arme pour se défendre. Le film embarque le spectateur sans jamais le caresser dans le sens du poil. Vous allez voir ce qui fait le quotidien d’une cité régit par une colère insondable, mais belle et bien présente et pesante. Pourtant, Les Misérables ne semble pas dire que tout est perdu, mais vraiment que tout reste à faire. Comment y parvenir ? Seules les réflexions qui se feront chez quiconque croisera sa route permettront de trouver une solution. Les Misérables pose le problème frontalement, à nous de trouver les solutions ensuite.

Lauréat du César du meilleur film, entres autres, Les Misérables est un film redoutablement actuel. Son parallèle avec La Haine est justifié pour l’unique et bonne raison que le film de Kassovitz posait déjà des questions similaires en 1995. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Rien du tout, malheureusement. Cela changera-t-il un jour ? C’est en tout cas ce que nous demande Ladj Ly.