Hors Normes : Touché en plein coeur !

Eric Toledano et Olivier Nakache sont deux cinéastes qui commencent à vraiment compter pour le cinéma français. Forts du succès indiscutable d’Intouchables en 2011, ils ont eu à cœur de poursuivre dans un cinéma social trois années plus tard avec Samba. Nettement moins abouti dans sa manière de traiter son sujet, il avait le mérite de poser des personnages forts et intéressants. Les deux compères savent également faire de la comédie pur jus, des films qui déclenchent de francs et massifs fous rires (Nos Jours Heureux, Le Sens de la Fête). Et c’est le mélange des deux qui avait redoutablement fonctionné sur Intouchables. Avec Hors Normes, ils retournent au film social en allant s’attaquer à un sujet fort : le monde de l’autisme. Sujet épineux qui aurait pu tomber dans le pathos facilement (ce qu’on reprochait à quelques séquences de Samba), c’est avec quelques pincettes que nous avons abordé le dernier film de Toledano et Nakache en dépit de l’intérêt profond que nous portons à son sujet.

Bruno et Malik sont respectivement les responsables de La Voix des Justes et de l’Escale, deux associations qui œuvrent depuis 20 ans dans le monde des enfants et adolescents autistes qu’ils aident de leur mieux. Ils forment également des jeunes issus de quartiers difficiles afin d’encadrer ces cas complexes que les structures médicales refusent. L’association de Bruno est cependant dans le viseur de l’Inspection Générale des Affaires Sociales. Bruno va devoir régulariser sa situation s’il ne veut pas perdre les enfants qu’il a à charge.

Présenté hors-compétition en clôture de la sélection officielle du Festival de Cannes en 2019, Hors Normes tape sévèrement juste. Sensible sans jamais tomber dans l’excès, toujours sur un ton parfait, les deux réalisateurs parlent des associations qui prennent en charge l’autisme face au refus du corps médical. Un sujet houleux et terriblement actuel que Toledano et Nakache vont s’attacher à mettre en lumière par le biais de Vincent Cassel et Reda Kateb qui y trouvent deux rôles taillés sur mesure. Cassel illumine la pellicule de sa présence. On le sent investi dans son rôle. Ce combat semble être le sien. Pas celui du personnage qu’il incarne, celui de l’homme derrière l’acteur. Il met toutes ses tripes sous la houlette de Bruno et dépasse le cadre de la fiction. Il irradie la pellicule et émeut au plus profond. En face de lui, Reda Kateb nous prouve, une fois encore, qu’il est l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Il impose une aisance tellement naturelle, il est fait pour ce genre de rôle. Toujours crédible dans son interprétation, il arrive à nous convaincre de l’importance de s’investir pour son prochain sans jamais tomber dans le pathétique. Un pathétique qui est évité à chaque instant car ponctué par des moments irrésistiblement drôles. Voilà pourquoi le film sonne juste et vrai : ce n’est pas parce qu’on s’occupe d’enfants en difficultés qu’il faut s’empêcher de rire, bien au contraire !

Si les deux têtes d’affiche s’imposent par un charisme et une dévotion évidents, les véritables stars du film demeurent les jeunes adolescents autistes qu’il met en lumière. Benjamin Lesieur en tête de gondole. Le jeune homme vient percuter nos émotions et saura, à l’instar de Pascal Duquenne à l’époque du Huitième Jour, marquer nos esprits pour toujours. Véritable autiste, il offre un jeu méthodique et précis à tel point qu’on oublie son handicap. Il habite les scènes par la pureté qu’il dégage. Il émeut autant qu’il fait rire. Ses répliques sonnent justes. C’est une vraie prouesse d’acteur dont le jeune homme nous fait part. Porte-parole évident pour ses autres camarades du film, il incarne le silence et l’exclusion dans lesquels vivent les enfants autistes. Pas évident de transmettre sa fragilité et sa sincérité quand on se retrouve face à des gens, au mieux indifférents, au pire effrayés. Et puis il y a aussi Hélène Vincent qui interprète sa maman et exprime une autre forme de peur. Elle incarne cette mère courage qui a toujours voulu que son fils ait une vie « normale ». Avec Bruno, elle trouve un soutien inespéré. Elle nous fendra le cœur lorsqu’elle exprimera la peur du devenir de son enfant lorsqu’elle décédera. Et sa peur parle pour tous les parents de ces enfants. Que vont-ils devenir ? Dans un système où parfois même le corps médical ne peut rien pour leur venir en aide, qui sera là pour s’occuper d’eux ? Une énorme question à laquelle les réalisateurs n’ont jamais la prétention de répondre, mais qui se devait d’être soulevée pour faire bouger les consciences.

Et c’est parce que le handicap fait peur et que la différence divise que Hors Normes se doit de balayer les clichés qui entourent la méconnaissance du monde sur le sujet. Pour ce faire, Toledano et Nakache offrent une réalisation et un découpage technique sensible, doux et poétique. L’importance des mains, du regard, d’une attitude bienveillante…en clair, la patience est mise en scène avec beaucoup de respect. Il y a une distanciation qui se crée pendant le film. Les réalisateurs trouvent le recul nécessaire pour nous impacter au mieux. Hors Normes se révèle terriblement tendre. C’est une caresse délicate qui invite le spectateur inconnu à cet univers à se rapprocher. Hors Normes n’expose pas en pâture ses acteurs autistes, Hors Normes les magnifie. Et c’est là toute la subtilité de Toledano et Nakache. Ils touchent en plein cœur en visant juste (oui, on se répète). On ne peut pas ne pas tomber amoureux et avoir envie de se battre pour donner une chance à ces enfants d’exister.

Hors Normes est de ces films qui ont une importance et une forme d’intérêt public plus que conséquent. Il faut se sortir de son confort quotidien et offrir à ceux qui en ont besoin. Que ce soit du temps, de l’argent ou autres, ne laissons pas l’indifférence remporter la partie. S’ouvrir aux autres est le premier pas vers l’élévation de soi. Voilà ce que le film de Toledano et Nakache nous transmet. Une porte, une ouverture vers un avenir meilleur, autant pour ceux qui en ont besoin que pour ceux pour qui la vie a été plus généreuse au départ.

3 Rétroliens / Pings

  1. Forfaiture : Test Blu-ray -
  2. Placés : Une famille en maison d'accueil. -
  3. Presque : Quand deux âmes se rencontrent... -

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