Rendez-vous : D’apartés en appartements…

Retour sur le Rendez-vous d’André Téchiné sorti au coeur des années 80, qui retrouve aujourd’hui une seconde jeunesse en la diffusion vidéo éditée par Carlotta et disponible le 11 mars 2020. Encore et toujours traversé par les soucis d’apprêt et de bon goût propres au cinéaste, Rendez-vous est surtout et avant tout l’un des principaux films ayant révélé l’actrice Juliette Binoche, figure du cinéma français devenue aujourd’hui incontournable, voire emblématique d’une certaine idée de l’amour-bohème ; lui partage la vedette le beau et ténébreux Lambert Wilson, éventuelle gravure de mode encore peu connue du large public, mais fière d’une cinégénie rivalisant de force avec celle de sa partenaire…

Réalisé un an après La femme publique de Andrzej Zulawski et un an avant Mauvais Sang de Léos Carax, Rendez-vous en constitue presque le chaînon manquant idéal, aussi bien dans le choix de ses têtes d’affiche que dans son atmosphère, son style cinématographique et ses thématiques. Difficile de ce point de vue d’oublier l’apparition fulgurante d’un Lambert Wilson littéralement « en nage » dans l’effervescent film zulawskien, qui campait pour l’occasion un personnage explosif annonçant le Quentin écorché vif et suicidaire du film de Téchiné. En outre La femme publique jouait sur le même principe de mise en abyme théâtrale que Rendez-vous, narrant ni plus ni moins le parcours inconséquent d’une jeune comédienne s’essayant à l’art dramatique de façon délibérément grotesque (Valérie Kaprisky chez Andrzej, Juliette Binoche chez André…) et magnifiant avec soin de gigantesques intérieurs parisiens, tout en patine et en timide décrépitude…

Prémonitoire de Mauvais Sang d’un point de vue purement visuel et rythmique (Juliette Binoche, tributaire des deux films, y arbore de la même manière un faciès de petite fille ingénue au regard rond et au sourire discret, coupe à la garçonne à l’appui…) Rendez-vous joue de ruptures et d’artifices avec un soin important accordé aux contrastes de couleurs et aux valeurs de plans souvent très rapprochés. Mais là où Carax s’amusait à transformer son second long-métrage en formidable exercice de style ludique et pittoresque, André Téchiné privilégie une austérité relative, perpétuant l’héritage théâtral lénifiant des Souvenirs d’en France sorti dix ans plus tôt. Verbeux et grandiloquent, Rendez-vous n’échappe pas à une déplaisante – ou du moins ennuyante – opacité émotionnelle, transformant les figures de Nina et de Quentin (respectivement Binoche et Wilson) en de simples marionnettes fantoches étayant la fabrique.

Une chose manque cruellement audit Rendez-vous : une véritable identité cinématographique. Hormis Carax et Zulawski, l’ensemble évoque entre autres choses les ressorts stylistiques d’un film comme Vivement Dimanche! de François Truffaut (mouvements de caméra très soutenus, présence de Jean-Louis Trintignant au générique…) ou les gestes dramatiques du Mépris ( en ce sens la composition de Philippe Sarde – cousine des œuvres de Georges Delerue – est utilisé de manière très godardienne par Téchiné ). Par ailleurs la froideur sophistiquée des images annonce l’esthétique théorique, quasi-cérébrale du Trois Couleurs: Bleu de Krzysztof Kieslowski (autre film majeur dans la carrière de Juliette Binoche, qui sortira huit ans plus tard). En résulte un morceau de cinéma plombant et résolument faux, familier de l’hermétisme et coutumier de la distance, très décoratif et pas mal inintéressant. André Téchiné excelle dans l’art de fabriquer pléthore d’icônes filmiques (Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, j’en passe et des meilleures…) mais beaucoup moins dans celui de tourner à la coule. Un cinéma laborieux, rigide et pénible à suivre : une impénétrable croisée des voies cinéphiles.

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