Un fils : Le don de soi

Un fils… comme un autre ? Parmi d’autres ? À l’image de son titre le premier long-métrage de Mehdi M. Barsaoui (multi-primé dans plusieurs festivals, notamment à la 76ème Mostra de Venise) est un morceau de cinéma d’une intelligente simplicité évocatrice et artistique, nous plongeant dès sa scène d’introduction dans l’intarissable question de la condition humaine – et de fait, ici, essentiellement familiale. Au rythme bienveillant d’un volant d’automobile maladroitement tâtonné par le jeune Aziz, 11 ans, féru de musique pop arabe entêtante et par son père Farès indirectement aux commandes du véhicule, Un fils semble instantanément vouloir nous placer au plus près de l’amour filial, montrant une famille tunisienne socialement enviable et humainement heureuse en apparence…

Démarrant comme une comédie dramatique voire même comme un feel-good movie, Un fils montre sans fioritures le bonheur de Meriem, Farès et Aziz : dans la clarté diurne d’une réunion bucolique la jeune et belle Meriem (Najla Ben Abdallah) annonce à son groupe d’amis (de collègues ?) sa récente promotion en poste de RH au gré d’un pique-nique fédérateur empli d’insouciance et d’humeurs estivales… Nous sommes non loin de Tataouine et son mari Farès semble aimable et aimant, sans conditions ; PDG de renom, Farès (remarquablement interprété par Sami Bouajila, logiquement récompensé à la Mostra de Venise) tient véritablement du père de famille idéal, potentiel « homme de la situation » capable d’éduquer le jeune Aziz avec un sens de l’équilibre beaucoup trop rare pour ne pas être relevé en ces lignes…

Bonheur évident, solaire, aveuglant presque… Les dix premières minutes du métrage s’achèvent et le drame alors intervient, sans appel. Tout à trac. Le contexte socio-politique du film (nous sommes en 2011, aux récentes retombées du Printemps Arabe et à l’aune du jihad) vient éclabousser le spectacle de cette liesse intimiste avec le choc d’un parpaing cruellement lâché du haut d’un gratte-ciel. En quelques secondes Mehdi M. Barsaoui instaure le nœud dramatique majeur de son canevas scénaristique (ni plus ni moins qu’une exaction terroriste) pour mieux ménager les enjeux à suivre… Impossible alors de dévoiler la suite de ce drame familial initialement prévu sous les meilleures augures sans en gâcher la terrible, l’effroyable surprise : seulement pouvons-nous ajouter que le fils du titre en constitue toute la substance, toute la puissance dramatique et toute la complexité des rapports entre Meriem et Farès, rappelant à bien des égards les personnages et les dilemmes moraux du cinéma de l’iranien Asghar Faradhi (on songe beaucoup aux Enfants de Belle Ville et à Une Séparation au regard de Un Fils…).

En un peu moins de 100 minutes Barsaoui parvient à accoucher d’un premier film brillant, au récit méthodique et dépourvu d’esbroufe. L’écriture et l’interprétation des comédien(ne)s est un sans-fautes, parvenant à montrer un Maghreb corrompu de toutes parts (violences et injustices conjugales, médecine compétente devant faire face à toutes sortes de trafics, dimension sacrificielle de la figure maternelle et impuissance du père…). Nous conseillons vivement le premier essai du talentueux Mehdi M. Barsaoui, invitant dans le même temps à ne pas s’y méprendre : sous ses dehors plaisants et à priori euphorisants Un Fils est un film brutal, désespérant et moralement passionnant. À voir absolument !

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