Une sirène à Paris : Candeur et poésie

Il semblerait que nous assistions depuis peu à l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes français s’attaquant au fantastique par des biais un peu plus originaux que ce à quoi on avait été habitués. À savoir enfin débarrassés de cette envie d’en mettre plein la tronche au spectateur à travers des œuvres ultra radicales dont la note d’intention principale semblait être « aucune limite » ! Non que nous ayons forcément une dent contre ce type de films, mais il est bon de revenir un peu à une tendance du genre plus ouverte, cherchant à ouvrir l’imaginaire à travers des histoires poétiques, et non pas à atteindre des points de rupture mentale chez son public. Depuis le début de l’année (et de la nouvelle décennie), nous avons déjà eu droit à l’excellent La dernière vie de Simon, malheureusement passé inaperçu faute d’une vraie défense de la part des exploitants, dont nous ne dirons jamais assez à quel point leur manque d’ouverture peut nuire au cinéma « différent » ! S’il est difficile d’affirmer avec certitude de quoi sera fait l’avenir du film qui nous intéresse ici, il est certain qu’il a été conçu dans une volonté claire de toucher un public assez large. Réalisé par Mathias Malzieu, leader du groupe Dionysos (d’après son propre roman), qui nous avait déjà offert le très joli Jack et la mécanique du cœur, sorti dans nos salles en 2014, le résultat en est un conte candide, hors du temps et de tout effet de mode, que l’on a naturellement envie de défendre, pour ce qu’il représente  dans un cinéma français ayant encore du mal aujourd’hui à sortir de cases pré-établies …

Gaspard est un crooner s’étant juré de ne plus jamais retomber amoureux suite à une rupture particulièrement douloureuse. Il chante dans une péniche / cabaret nommée le Flowerburger, gérée par son père (interprété par Tchéky Karyo, que l’on a plaisir à retrouver, s’étant fait plutôt rare au cinéma ces dernières années), et vit donc seul dans son appartement dont la décoration évoque l’univers d’un certain Jean-Pierre Jeunet. Jusqu’au jour où il va trouver, déposée par la Seine en crue, une jeune femme mystérieuse dont il ne tardera pas à accepter l’idée qu’il s’agit d’une sirène. Et ce qui frappe d’emblée dans cet univers, c’est à quel point tout ce qui pourra nous paraître extraordinaire de par le statut fantastique de l’histoire, sera accepté par ses protagonistes comme faisant partie intégrante de leur monde. La première phrase du film nous enjoint clairement à accepter l’impossible, dans une sorte de pacte scellé ou pas avec le spectateur, comme une obligation à la suspension d’incrédulité, sans quoi il semblera difficile d’accepter ce qui nous est proposé.

Lui, le romantique au cœur brisé, elle, la sirène dont le simple chant suffit généralement à voler le cœur des hommes, jusqu’à le faire exploser, tout est en place pour une histoire d’amour pas comme les autres. Et dans les premiers temps, pour peu que cette acceptation de l’incroyable dont nous parlions plus haut ait été clairement assimilée, il faudra reconnaître un certain talent à nous embarquer dans cet univers pourtant assez identifié. Car l’imaginaire de Mathias Malzieu n’est au final pas si novateur que ça, et évoque comme on l’a déjà dit Jean-Pierre Jeunet, pour sa direction artistique mais également pour certains de ses personnages (notamment la voisine de notre héros interprétée par Rossy de Palma, pleine d’excentricité), mais également Guillermo del Toro ou plus généralement les contes de notre enfance, mais transposés dans un univers assez terre à terre, tout juste amélioré grâce à ces petits détails qui font la différence entre le réalisme et le fantastique.

Ce qui fera la différence selon l’angle sous lequel on choisit de le prendre, c’est cette croyance absolue qu’a son auteur en ce qu’il raconte, exempt de tout cynisme ou recul par rapport à son histoire. Sa note d’intention énoncée par la voix off dès le début se ressent dans le ton global, ainsi que dans l’interprétation d’un casting étonnamment à l’aise malgré des emplois à priori très éloignés de ce qu’ils ont joué jusqu’à présent. En disant ça, on pense surtout à Nicolas Duvauchelle, plutôt identifié dans des rôles hargneux, en tout cas loin de ce qu’il livre ici. Fragile, romantique et doté d’une sensibilité que l’on a plaisir à découvrir, il incarne avec sérieux et sans aucun recul hautain son personnage, nous faisant croire à l’incroyable. Il met de la poésie et de la fantaisie dans son interprétation, se montrant même assez bondissant. De son côté, Marilyn Lima, jeune comédienne ne s’étant à présent pas beaucoup illustrée au cinéma (on l’a vue dans Bang Gang de Eva Husson), incarne une sirène dont on comprend tout à fait le pouvoir d’attraction qu’elle peut avoir sur les hommes croisant son chemin. Par sa grâce naturelle et son regard pénétrant, elle parvient à donner une véritable force d’incarnation à un personnage forcément éloigné de toute réalité.

Et pourtant, une fois acceptée cette proposition volontairement candide de cinéma fantastique, il faudra un peu redescendre sur terre et se rendre compte de l’évidence, à savoir que sur la fine ligne séparant la naïveté assumée et contrôlée et le romantisme le plus cucul la praline, tout le monde ne peut pas maîtriser cet équilibre très difficile à atteindre, et qu’au bout d’un certain temps, on aura du mal à rester accroché tout au long de cette histoire ne décollant jamais véritablement, et tombant dans des considérations pas loin d’évoquer les premières réflexions sur l’amour d’un enfant en plein éveil de ses sentiments. Si la détestation du résultat semble assez improbable de par l’absence totale de méchanceté à l’œuvre ici, et cette envie d’injecter un peu de poésie dans un monde de brutes, il semblera tout aussi difficile, passé un certain cap, d’accepter la bouche ouverte tout ce qui nous est montré, tant le tout a du mal à passer la seconde et à dévoiler des enjeux un peu solides.

Faute d’un grain de sable qui viendrait mettre un peu de piment dans un déroulé bien trop lisse, on devra se contenter de suivre sans souffrance, mais avec un brin d’indifférence, un récit dont l’absence de réels rebondissements et les dialogues parfois un peu embarrassants (l’amour qui pique, c’est joliment dit mais c’est un peu mièvre quand même) empêche d’atteindre une ampleur narrative qui lui aurait donné une résonance supplémentaire. Quant à savoir quelle chance le film a de rencontrer son public, nous sortons le joker, car il semble que le manque de magie fera que le jeune public aura peut-être un peu de mal à s’y retrouver, quand les adultes trouveront le tout peut-être un peu trop « mignon » ! Mais cela fait plaisir de constater que l’on arrive à proposer ce type de film en France, en 2020 ! Espérons donc que d’autres osent suivre dans cette voie d’un fantastique pur, manquant juste ici un peu de flamboyance pour nous emporter véritablement.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*